ECRIRE !

Par Jehanne Denogent

Place / Création pluridisciplinaire de La Section Lopez / mise en scène et écriture Adina Secretan / Arsenic / du 20 au 26 mai / plus d’infos

©Sylvain Chabloz
©Sylvain Chabloz

Le spectacle Place, actuellement à l’Arsenic, propose une expérience profondément dérangeante. A déconseiller à ceux qui cherchent au théâtre un moyen de s’évader de la réalité .

Quelle tâche difficile de prendre la plume après Place ! Il ne semble n’y avoir plus aucune conviction, plus aucune légitimité sur laquelle m’appuyer.

Avec un pessimisme implacable, incontrôlable, Adina Secrétan vise indifféremment, de ses mots-armes, la crise du logement, la segmentation de la société, les hommes politiques, les machistes, les institutions théâtrales, les bobos qui habitent le quartier « sous gare » à Lausanne, les artistes, les intellos férus de Deleuze, et donc aussi elle-même : jeune artiste lausannoise qui promène son exemplaire de Deleuze entre la Manufacture et l’Arsenic, complice malgré tout d’une réalité sociale qu’elle abhorre.

Place est un cri du cœur. Il fait éclater nos coquilles de confort. Pourtant, c’est un cri silencieux. Pas un mot n’est prononcé par les comédiens. On entend uniquement le grincement des centaines de petits miroirs noirs au sol, formant un dallage désarticulé. La colère ne s’exprime pas dans les sons mais dans les mots, projetés sur le mur du fond. En lettres majuscules, un texte défile, incoercible. Il prend toute la place : sur le mur, dans le reflet des miroirs, sur nos rétines, dans nos têtes. Avec un humour féroce, ce je – mais qui parle en fait ? – attaque et ne laisse rien debout.

Un texte-spectacle , des comédiens accessoires sans répliques : le théâtre, dans sa dimension formelle et sociale, semble lui aussi remis en question. Le dispositif est impertinent, violent. Absolue, la voix énonciative prend possession de l’espace et de la parole, réduisant les comédiens et le public au silence. Nous ne pouvons que docilement lire ce soliloque enflammé et assister au démantèlement de nos valeurs et de notre position de spectateur. L’expérience est éprouvante et ne peut laisser indifférent.

Quelle tâche difficile de prendre la plume après un tel cataclysme ! Cela est pourtant nécessaire. Pour que le dialogue puisse être réinstauré. Pour échapper au silence d’échec et de fatalité. Pour crier mon désaccord face à un pessimisme stérile.