Figaro en contre-plongée

Par Josefa Terribilini

Figaro divorce / d’Ödön von Horváth / mise en scène Christophe Rauck / TKM / du 14 au 24 avril 2016 / plus d’infos

©Simon Gosselin
©Simon Gosselin

« Depuis ce fameux mariage de Figaro je suis un tout autre homme ». Le ton est donné d’entrée de jeu. Plus d’idéalisme, plus de pétillants ballets d’intrigues ni de virevoltants domestiques. Avec Horváth, Figaro est devenu un petit bourgeois égocentrique, le Comte et la Comtesse émigrent et sombrent, et la Révolution se fait individualisme. Entre réalisme noir et lueurs d’humanité, la scène de Rauck nous emplit de contrastes mélodieux et de pensées animées.

La chanteuse – elle sera plus tard Flanchette – est assise à son piano, là, sur la droite. Au centre, la chorale d’acteurs l’accompagne le temps d’un Mozart. Aux quatre coins de l’immense scène nue ou presque, près des coulisses ouvertes, des caméras. Elles captent les silences de la pièce, les coups d’œil, les âmes, et nous les offrent en direct sous la lumière teintée de quelques projecteurs. Tout démanteler : voilà ce que font tant la pièce d’Ödön von Horváth que la scénographie de Christophe Rauck. En 1937 déjà, ce texte bousculait les idéologies révolutionnaires un peu trop optimistes qui régnaient en maître dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais. La mise en scène, elle, attaque aussi la forme, exposant au grand jour – ou plutôt au grand noir de la salle – les rouages des arts du spectacle. Choisissons de les nommer au pluriel, ces arts, puisque interludes musicaux et bande-son germanophone parsèment le spectacle, accompagnés de gros plans projetés sur des écrans. Au fil des tableaux, une farandole de bureaux, tapis rouges, chaises de barbier et confettis viendront à tour de rôle s’ajouter à ces accessoires de théâtre avant de replonger dans l’obscurité de l’arrière-scène.

Arrêt sur image

Ils font pitié à voir, ces anciens héros français dans ce cabaret d’immigrés. Ils ont changé. Susanne la dégoûtée dans sa robe de serveuse, Chérubin le raté avec sa veste à paillettes rouges et le Comte, ô tristesse, écroulé dans ses défroques qui ne le portent plus après un verre de cognac bon marché. Ils subissent leur sort, aux prises avec « ces événements historiques de portée universelle » qu’ils ne peuvent pas vraiment saisir. Il semble être question de Révolution française parfois, comme il pourrait s’agir de toute révolution : russe, allemande, européenne, mondiale, il y a cent ans ou hier (dommage que le rapprochement avec aujourd’hui ne soit cependant pas suggéré…).

Mais d’ailleurs, est-ce bien important de les comprendre, ces événements ? Pour eux, pour nous ? Ce qui compte, en définitive, c’est de s’en sortir. On ne s’y prend pas tous de la même manière. Tels des contrastes personnifiés, nos duos dialoguent et donnent corps aux tensions de la conscience humaine ; autrefois futile, la Comtesse devient roc face à ce torrent qui submerge un Comte s’agrippant au passé, et Susanne divorce d’un Figaro calculateur pour tenter de retrouver une place, un sens. La différence c’est qu’elle, l’humaniste, croit encore à une transcendance que lui, l’ultralibéral, a depuis longtemps abandonnée. Cette transcendance, c’est l’Humanité. Horváth l’appelle dans sa pièce malgré son regard si acerbe et si vrai sur la nature humaine. Dans chaque recoin de chaque tableau, si sombre soit-il, on en perçoit l’écho, on en crie le désir. Finalement on la trouvera peut-être, lorsque la Révolution arrêtera de poursuivre en ennemis des hommes qui n’y sont pour rien.