Figaro divorce

Figaro divorce

D’Ödön von Horváth / mise en scène Christophe Rauck / TKM / du 14 au 24 avril 2016 / Critiques par Elisa Picci et Josefa Terribilini.


14 avril 2016

L’intemporel Figaro

©Simon Gosselin

Avec sa nouvelle mise en scène, Christophe Rauck redonne vie à l’emblématique personnage de Figaro, grâce au texte du dramaturge de langue allemande Ödön von Horváth. Avec une pièce écrite en 1936, le metteur en scène nous montre pourtant que les thèmes abordés sont d’une actualité déconcertante.

Le Mariage de Figaro de Beaumarchais s’arrête au seuil de la Révolution française. Ödön von Horváth reprend donc en quelque sorte l’histoire là où elle s’est arrêtée, mais place son personnage dans les années 1930, alors que le nazisme monte en force. Une révolution gronde, dans un pays qui n’est jamais cité. Le comte Almaviva est contraint de fuir avec sa femme et ses valets, Figaro et Suzanne. Figaro décide de s’émanciper, et de partir pour ouvrir un salon de coiffure avec Suzanne. La vie suivant son cours, cette dernière ne reconnaît plus son Figaro et le couple, momentanément du moins, se sépare.

Le spectateur découvre une partie de cette vie de Figaro, par tableaux successifs. D’abord plongés dans l’obscurité, Figaro, le comte et leurs épouses fuient au travers de la forêt. Puis, au son des Noces de Figaro de Mozart, jouées en direct au piano, les lumières s’allument. Les comédiens changent le décor à vue : à présent, Figaro et le comte sont au bureau des gardes-frontières pour être interrogés. Au rythme de la musique, et toujours selon le même procédé, les lieux s’exposent à nous les uns après les autres : une bijouterie, le salon de coiffure de Figaro, une salle de fête, un cabaret, ou encore l’ancien château du comte, devenu un lieu de refuge pour les enfants trouvés, dont Figaro deviendra l’intendant.

Les comédiens jouent avec trois caméras, l’image étant projetée sur un grand écran dans le fond de la scène. Les perspectives changent, permettant ainsi la mise en valeur de certaines expressions des comédiens. On se croirait presque au cinéma, par les gros plans effectués sur les acteurs, et on se retrouve parfois déconcerté, ne sachant plus s’il faut regarder la scène ou l’écran. Les chants lyriques qui accompagnent le texte tout au long de la pièce sont extrêmement plaisants, grâce au talent de la chanteuse, comédienne et pianiste Nathalie Morazin et au ténor Jean-François Lombard.

Cette mise en scène révèle aussi l’intemporalité du personnage de Figaro et de sa condition. Optimiste chez Beaumarchais face à la révolution de 1789, il devient beaucoup plus sombre chez Ödön von Horváth. D’abord porté par son envie d’émancipation, sûr de sa réussite, il fréquente pour son plus grand bonheur la petite bourgeoisie, dont il fait presque partie. Ceci sans compter le mal de vivre de sa femme, qui souhaite retourner auprès de la comtesse Almaviva, et qui souffre du fait que son mari ne veuille pas lui donner d’enfant. Lorsque Suzanne le trompe et le quitte, le coiffeur à la mode devient aux yeux de tous l’immigré qui n’a plus rien à faire là. Se dessinent alors de tristes similitudes avec la société actuelle et sa manière de réagir face à l’immigration. Une mise en scène qui fait réfléchir sur les relations entre les individus et sur la notion même d’humanité. A découvrir jusqu’au 24 avril au TKM !

14 avril 2016


14 avril 2016

Figaro en contre-plongée

©Simon Gosselin

« Depuis ce fameux mariage de Figaro je suis un tout autre homme ». Le ton est donné d’entrée de jeu. Plus d’idéalisme, plus de pétillants ballets d’intrigues ni de virevoltants domestiques. Avec Horváth, Figaro est devenu un petit bourgeois égocentrique, le Comte et la Comtesse émigrent et sombrent, et la Révolution se fait individualisme. Entre réalisme noir et lueurs d’humanité, la scène de Rauck nous emplit de contrastes mélodieux et de pensées animées.

La chanteuse – elle sera plus tard Flanchette – est assise à son piano, là, sur la droite. Au centre, la chorale d’acteurs l’accompagne le temps d’un Mozart. Aux quatre coins de l’immense scène nue ou presque, près des coulisses ouvertes, des caméras. Elles captent les silences de la pièce, les coups d’œil, les âmes, et nous les offrent en direct sous la lumière teintée de quelques projecteurs. Tout démanteler : voilà ce que font tant la pièce d’Ödön von Horváth que la scénographie de Christophe Rauck. En 1937 déjà, ce texte bousculait les idéologies révolutionnaires un peu trop optimistes qui régnaient en maître dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais. La mise en scène, elle, attaque aussi la forme, exposant au grand jour – ou plutôt au grand noir de la salle – les rouages des arts du spectacle. Choisissons de les nommer au pluriel, ces arts, puisque interludes musicaux et bande-son germanophone parsèment le spectacle, accompagnés de gros plans projetés sur des écrans. Au fil des tableaux, une farandole de bureaux, tapis rouges, chaises de barbier et confettis viendront à tour de rôle s’ajouter à ces accessoires de théâtre avant de replonger dans l’obscurité de l’arrière-scène.

Arrêt sur image

Ils font pitié à voir, ces anciens héros français dans ce cabaret d’immigrés. Ils ont changé. Susanne la dégoûtée dans sa robe de serveuse, Chérubin le raté avec sa veste à paillettes rouges et le Comte, ô tristesse, écroulé dans ses défroques qui ne le portent plus après un verre de cognac bon marché. Ils subissent leur sort, aux prises avec « ces événements historiques de portée universelle » qu’ils ne peuvent pas vraiment saisir. Il semble être question de Révolution française parfois, comme il pourrait s’agir de toute révolution : russe, allemande, européenne, mondiale, il y a cent ans ou hier (dommage que le rapprochement avec aujourd’hui ne soit cependant pas suggéré…).

Mais d’ailleurs, est-ce bien important de les comprendre, ces événements ? Pour eux, pour nous ? Ce qui compte, en définitive, c’est de s’en sortir. On ne s’y prend pas tous de la même manière. Tels des contrastes personnifiés, nos duos dialoguent et donnent corps aux tensions de la conscience humaine ; autrefois futile, la Comtesse devient roc face à ce torrent qui submerge un Comte s’agrippant au passé, et Susanne divorce d’un Figaro calculateur pour tenter de retrouver une place, un sens. La différence c’est qu’elle, l’humaniste, croit encore à une transcendance que lui, l’ultralibéral, a depuis longtemps abandonnée. Cette transcendance, c’est l’Humanité. Horváth l’appelle dans sa pièce malgré son regard si acerbe et si vrai sur la nature humaine. Dans chaque recoin de chaque tableau, si sombre soit-il, on en perçoit l’écho, on en crie le désir. Finalement on la trouvera peut-être, lorsque la Révolution arrêtera de poursuivre en ennemis des hommes qui n’y sont pour rien.

14 avril 2016


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