Par Elisa Picci
Cupidon est malade / de Pauline Sales / mis en scène Jean Bellorini / Le Théâtre du Passage / 21 février 2016 / plus d’infos
S’inspirant du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, Pauline Sales cible sa pièce sur des questions très actuelles comme l’amour, le désamour, le remariage ou encore le divorce. Instruments de musique, terrain de football, pot de confiture et philtre d’amour de Cupidon, un mélange d’éléments simples et efficaces pour expliquer aux enfants les péripéties amoureuses de leurs parents.
Cupidon est malade réunit une poignée d’artistes talentueux : l’auteure française Pauline Sales ; le metteur en scène Jean Bellorini, primé de nombreuses fois (Paroles gelées, son adaptation théâtrale autour de Rabelais, a reçu le Molière de la meilleure mise en scène en 2014) ; et les musiciens Lise Charrin et Timothée Faure, ainsi qu’une troupe de comédiens tant suisses que français.
L’histoire rappelle de façon assez évidente celle de Shakespeare, mais sans les fées et les lutins. On est dans quelque chose de bien plus terre-à-terre, qui parle à tout le monde : Bottom est l’ex-mari d’Hermia et Lysandre l’ex-mari d’Hélène. De ces séparations est née une union : celle d’Hermia et de Lysandre. Et les enfants dans tout ça ? Tine (fille d’Hermia et Bottom), et Robin (fils d’Hélène et Lysandre) seront bientôt de la même famille puisque leur mère et leur père vont se marier aujourd’hui. Ils exposent alors aux spectateurs leur vision de ce nouveau couple, du divorce de leurs parents, et ce que signifie pour eux l’amour dans ce monde où on aime un jour pour se détester le lendemain.
La scénographie sert efficacement cette vision de l’amour : un grand carré d’herbe sur l’espace de jeu, avec un ballon au milieu, qui rappelle donc le terrain de foot. L’amour apparaît comme un loisir, qui a automatiquement un début et une fin. La pièce commence avec les deux enfants, face au public, exprimant leurs angoisses suite aux mariages répétés de leurs parents (troisième mariage pour la mère de Tine). Derrière eux, les adultes se font des passes à l’aide du ballon de foot. Côté jardin se trouvent les musiciens. Une batterie pour un son très électrique et un clavecin pour une mélodie plus douce, qui rythment souvent les paroles des personnages et leur donnent parfois l’allure d’un slam.
Les points de vue s’enchaînent. Celui des enfants sur le remariage des parents, sur le divorce et les questions que cette situation engendre : « si on est capable de ne plus aimer son mari ou sa femme, se peut-il alors qu’on arrête d’aimer son enfant ? ». Celui des parents bientôt remariés, qui expliquent qu’il faut relativiser le divorce, car dans le monde il y a des choses bien pires. Ou encore celui des ex-conjoints, conviés à ce nouveau mariage mais pas prêts pourtant à tourner la page sur leur histoire.
Le spectacle est accessible dès huit ans et semble présenter les mécanismes de l’amour de façon très intelligente aux enfants. Il reste peut-être un peu trop caricatural pour un adulte, qui connaît déjà toute la complexité de la question. Cependant, ce dernier ne manquera pas de rire à certaines allusions grivoises et se réjouira du dénouement final, qui s’éloigne un brin de la fin shakespearienne. Alors que Tine a rencontré Cupidon, qui habite au 25e étage d’un HLM et lui a fourni un pot de confiture contenant le philtre d’amour, elle décide avec Robin de réunir à nouveau leurs parents pour empêcher ainsi le mariage entre Hermia et Lysandre. Rien ne se passe comme prévu et au final tout le monde, y compris Hermia, tombe amoureux de la pauvre Hélène, complètement abasourdie. Le public, de tout âge, apprécie donc ce comique de situation. Les événements déplaisent pourtant beaucoup à Tine et Robin : le philtre d’amour a mis une belle pagaille. De colère, Tine décide alors de briser le pot de confiture, ce qui provoque soudainement un sommeil profond chez tous les personnages. Au réveil, tout est rétabli, Hermia et Lysandre sont toujours amoureux. Morale de l’histoire ? L’amour est un sentiment bien complexe qui n’est aucunement manipulable par un simple philtre. Le lien conjugal n’est pas forcément éternel, chacun peut aimer à diverses reprises et à différents moments de sa vie. Et Cupidon préfère que chacun choisisse qui il veut aimer – même si on ne choisit pas tout à fait.