Rapports

Par Josefa Terribilini

Plan Cul / concept, jeu et musique de Philippe Wicht Böse Wicht Zone / l’Arsenic / du 12 au 17 janvier 2016 / plus d’infos

© Böse Wicht Zone
© Böse Wicht Zone

« J’ai rien senti », chuchote Philippe Wicht. Et pourtant, cette performance ne laisse pas indifférent. Dans PLAN CUL, qu’il conceptualise et interprète, l’artiste nous fait crûment parcourir tous les sentiments contradictoires constitutifs de ce genre de rencontres au travers une série de sons, de lumières et de mouvements qui souvent nous emmènent loin dans son propos, mais nous dérangent parfois.

Il s’en va comme il avait commencé, nu. Le corps tendu, épuisé. Il ne revient même pas saluer. Non, pas de sentiments, c’était juste du sexe. No strings attached. On ne le reverra pas ce soir. On n’est d’ailleurs ni les premiers, ni les derniers. Comme un cycle qui se répète soir après soir, représentation après représentation, Philippe Wicht se rhabille et se déshabille et enchaîne les plans cul. Le théâtre est un plan cul. Voilà, au fond, c’est ça, c’est simple. Comme une expérience sans cesse renouvelée, on vient y chercher des sensations, pour une heure, peut-être deux. Et puis on s’en va. On ne se connaît même pas, nous, public. Un rendez-vous fixé entre personnes consentantes qui ne se sont jamais vues. Dans ce lieu du partout et du nulle part, nos peaux se frôlent, on s’écoute, on se sent, on les sent, eux, sur le plateau : l’autre corps, les acteurs. Le moment est intense (enfin, si l’on a de la chance, parce que ça ne prend pas à chaque fois, « ça dépend de tellement de choses », n’est-ce pas ?). On s’y laisse couler, on s’y adonne. Et l’on sait qu’on ne se reverra jamais. Quand on quitte la salle, on repart seuls, en pièces détachées.

Devant nous un singulier androgyne, perruque noire de cheveux longs et barbe assortie, le corps maigre et sec. Ni tout à fait homme, ni tout à fait femme, ou les deux à la fois. À chacun d’y trouver sa préférence. Il est le premier membre du plan cul, et moi, avec les autres corps qui se trémoussent et ricanent nerveusement sur leurs sièges, j’en suis le second. Il est les acteurs, nous sommes le public. Et nous le payons pour qu’il nous divertisse. Malaise véritable d’une société consumériste qui fait de l’art une prostitution ? Du moins est-ce ainsi que Philippe Wicht nous présente le rapport entre acteurs et spectateurs dans cette performance qui joue sur les doubles-sens.

Mais en fait, qui se prostitue ? Qui procure du plaisir, qui nourrit l’autre, qui se donne et qui domine ? Le spectacle cultive cette ambivalence. De nos places en surplomb, on suit les impulsions. Lors des préliminaires, on a encore notre mot à dire ; « do you like it rough or romantic ? ». C’est avec un anglais de circonstances qu’il nous reçoit, sur ce tapis rouge, entre ces murs noirs. On pose les bases, on s’observe, on rit aussi. Puis la lumière s’éteint. Il peut enfin commencer. Et alors, plus de retour possible. La musique synthétique strie nos crânes, nos regards cherchent les contours de la forme blanche de l’acteur engluée au mur noir, la masse rouge et froissée sur le sol emplit nos yeux plissés. On ne rit plus, on subit. Ou alors on peut sortir, comme ce spectateur lorsque l’androgyne, après avoir échangé sa perruque contre un masque de chien, s’essuie l’entrejambe avec du papier de toilette. C’est vrai qu’on avait compris : l’Homme est un animal, pas besoin d’y passer dix minutes. Voilà bien le défaut de cette performance qui se complait parfois trop longuement dans l’explicitation choc. Mais enfin, c’est aussi ça, un plan cul : l’intensité mêlée de gêne. Et ça laisse un goût bizarre. Alors, si vous en voulez encore, Philippe Wicht sera là jusqu’à dimanche.