Par Deborah Strebel
Te haré invencible con mi derrota / d’Angélica Liddell / par Angélica Liddell, compagnie Atra Bilis Teatro / Théâtre Saint-Gervais / du 19 au 23 janvier 2016 / plus d’infos
Angélica Liddell interprète pour la première fois en Suisse son spectacle Te haré invencible con mi derrota, créé en 2009. Une époustouflante et très intense tentative de dialogue avec l’au-delà. Frissons et envoûtement garantis.
En 2009, Angélica Liddell, alors âgée de 42 ans, s’intéresse au destin tragique de la violoncelliste Jacqueline Du Pré, décédée en 1987 – à l’âge de 42 ans. La musicienne britannique était atteinte d’une sévère sclérose en plaques. Selon la légende, la maladie n’avait pas seulement rongé son corps, mais aussi son esprit, poussant l’artiste prodige à s’éteindre bien avant la jeune femme. Dans sa note d’intention, la dramaturge catalane explique qu’elle a ressenti la nécessité de se mettre en contact avec Jacqueline afin qu’elle lui explique l’épouvantable conflit qui avait pris possession de son corps, entre chair et esprit. En résulte un époustouflant spectacle d’une heure et demie.
Au centre de la scène, cinq violoncelles sont disposés en ligne. À jardin, un premier carré lumineux éclaire sur le sol neuf petits pains ronds tandis qu’à cour, un second illumine des figurines et une main sculptée en cire. Alors que les spectateurs s’installent, une lumière apparaît et s’éteint aussi vite. Il s’agit d’Angélica Liddell, apparaissant furtivement à la lueur d’un briquet. Une fois la salle plongée dans l’obscurité, elle s’allume une cigarette. S’ensuit une séance de spiritisme intense et particulière, caractérisée par deux temps. Au début, « Jackie » est élevée, presque, au rang de sainte. Sa musique retentit et Angélica Liddell l’écoute religieusement. Elle tente d’entrer en contact avec elle par la souffrance. Elle se scarifie. Elle lui adresse d’émouvantes prières. Cette incantation évoque tantôt l’imagerie vaudou, notamment par une scène dans laquelle elle se plante des aiguilles au bout des doigts ; tantôt la religion catholique, car elle rompt le pain et au lieu de boire du vin, comme il est de coutume lors de la communion, ingurgite à plusieurs reprises de l’alcool fort. Cette partie culmine lorsque telle une chamane, elle entre en transe, se roule par terre, crie et pleure. Hélas, elle ne semble pas avoir trouvé de réponse.
Peut-être est-ce à cause du silence de Jackie que dans un deuxième temps, Angélica Liddell semble se rebeller et exorcise sa colère en réduisant, par exemple, à néant un violoncelle, avec autant de fougue que Jimmy Hendricks enflammait sa guitare. Plus tard, elle s’empare d’un fusil de paintball et se place devant un portrait géant, en noir et blanc, de Jackie. Alors qu’au départ, cette photographie faisait penser aux icônes des saints ou aux images des défunts lors des cérémonies d’enterrement, à présent cette toile est désacralisée. Après lui avoir gribouillé des cornes, Angélica Liddell lui tire des balles multicolores. Impossible de ne pas faire le lien avec les shooting paintings de Nikki de St-Phall, réalisées au début des années 1960. Néanmoins, dans ce cas, les tirs se rapprochent plus du blasphème que du joyeux happening d’action painting. Une fois le visage ingénu de la jeune Jacqueline totalement recouvert de vert dégoulinant, Angélica Liddell termine son oeuvre par un doigt d’honneur et un crachat ou deux.
Pièce rare, Te Haré invencible con mi derrota s’adresse à un public averti, et présente une violente, passionnée et bouleversante séance de spiritisme.