Par Lauriane Pointet
Dans la mer il y a des crocodiles / d’après Fabio Geda / mise en scène Isabelle Loyse Gremaud / Théâtre des Osses / du 15 au 31 janvier 2016 / plus d’infos
Après les spectacles Eldorado ou Une Enéide, la question de la migration est à nouveau au cœur de la programmation théâtrale romande avec Dans la mer il y a des crocodiles, une adaptation du livre éponyme de Fabio Geda présentée jusqu’à fin janvier au Théâtre des Osses.
Dans la mer il y a des crocodiles, c’est avant tout l’histoire vraie d’Enaiatollah Akbari, parti d’Afghanistan à 10 ans pour tenter de trouver un avenir meilleur, d’abord dans les pays proches, puis en Europe. Ce sont trois comédiens qui se prêtent à l’exercice de l’adaptation dans la mise en scène d’Isabelle Loyse Gremaud. Olivier Havran incarne Enaiatollah Akbari, « Enaiat », en chemise de coton claire et pantalons bruns. Les deux autres (Xavier Deniau, Maria Augusta Balla), tout en noir, alternent entre un rôle de narrateur et l’illustration des personnages croisés par notre héros. Evoluant sur un plateau dépouillé de tout décor, sans autre accessoire que trois tabourets de bois, ils nous racontent tour à tour et par bribes l’incroyable voyage qui a mené Enaiat de son village natal à l’Italie. La pièce fait dialoguer des passages racontés et des passages joués. Seulement, condenser une dizaine d’années et des milliers de kilomètres en une centaine de pages était déjà difficile. Vouloir les résumer en une heure de spectacle…
Afghanistan, Pakistan, Iran, Turquie, Grèce et enfin Italie. Les étapes s’enchaînent à une cadence effrénée. Enaiat n’a pas même le temps de nous raconter une anecdote que le voilà déjà reparti pour la suite de son périple, au point que l’émotion passe souvent à la trappe. On ne retrouve pas le subtil équilibre entre empathie, rire, pitié, tristesse et espoir qui caractérisait le récit de Fabio Geda. L’on regrettera que les comédiens abordent presque toujours un léger sourire quand ils prennent une posture de narrateur ; cela a certainement pour but d’illustrer la légèreté de ton d’Enaiatollah dans le livre, mais cela provoque surtout une décrédibilisation tant du personnage que des épreuves qu’il traverse.
Cherchant peut-être à rester trop proche de sa source, dont elle cite de grands pans de texte et conserve globalement la structure, la pièce ne profite pas assez des possibilités qu’offre la scène par rapport à l’écrit. La scénographie dépouillée jusqu’à l’excès invite le spectateur à imaginer ce qu’on lui raconte, mais elle risque aussi de provoquer l’effet inverse, et de laisser le public sur sa faim.