Shake
D’après La nuit des rois / de William Shakespeare / mise en scène Dan Jemmett / Théâtre de Carouge / du 27 octobre au 15 novembre / Critiques par Alice Moraz et Elisa Picci.
27 octobre 2015
Par Alice Moraz
Une comédie qui secoue
C’est une pièce de Shakespeare complètement métamorphosée et bien loin des conventions du théâtre élisabéthain que présente la mise en scène de Dan Jemmett. Musique, danse et plaisanteries font de Shake une comédie débridée et remise au goût du jour.
Viola aime Orsino qui aime Olivia qui est tombée amoureuse de Viola travestie en garçon… Cette chaîne amoureuse trouve une issue heureuse grâce au retour de Sébastien, le frère jumeau de Viola qui avait fait naufrage avec elle sur les côtes de l’Illyrie, et dont s’éprend Olivia, trompée par la ressemblance qu’il a avec sa sœur. Autour de ce noyau central gravitent plusieurs personnages secondaires mais toutefois indispensables : Malvolio l’intendant d’Olivia, Feste son bouffon, ainsi que son oncle, Sir Toby qui manipule, ici au sens propre, son pantin complice Sir Andrew.
Tout se joue dans un seul décor composé de cinq cabines de plages accolées et disposant chacune d’une porte qui permet soit une petite ouverture de type fenêtre en haut soit une ouverture complète. De même que dans un vaudeville, les portes s’ouvrent et se ferment à tour de rôle sur l’univers de chacun des huit personnages (interprétés par cinq comédiens). Les fenêtres permettent de suivre en direct le travestissement des acteurs qui changent de costumes, et par la même occasion de rôle, face au public. Imperturbable et contrastant de manière frappante avec la frénésie générale, Feste le fou sert d’observateur, ajoutant de manière parfois un peu insistante des plaisanteries grivoises dès qu’il en a l’occasion. C’est aussi lui qui orchestre le passage des vinyles sur son tourne-disque. Si la musique fait partie intégrante de la pièce du Barde, elle donne là une petite touche surannée très bienvenue, cohérente avec la décision d’ancrer l’histoire dans un univers sixties plutôt qu’élisabéthain.
Peinant à démarrer au début, la pièce trouve finalement son rythme dès lors que le spectateur a pu identifier chacun des personnages. Il n’a plus, ensuite, qu’à suivre leurs farces pour s’imprégner de cette ambiance si légère et se laisser emporter par l’énergie des comédiens. On se croirait presque dans un cabaret fantaisiste avec ces personnages fantasques, les courses poursuites et les traits d’humour dus aux doubles ou triples sens du texte.
Les questions de l’apparence et du travestissement sont par ailleurs traitées de manière originale. Parce que Viola/Césario et Sébastien sont joués par la même personne, mais surtout, et c’est là le point le plus intéressant de cette mise en scène, parce que les cabines de plages servent simultanément de loges aux acteurs et de lieu de vie aux personnages. Il nous est donc permis d’assister à ce qui se passe habituellement en coulisses, de voir de nos propres yeux comment sont mis en place les artifices du théâtre. Si les personnages ne sont « jamais ce qu’ils sont », Dan Jemmett a pris à la lettre le titre anglais alternatif What you Will pour remanier la pièce à sa guise.
Pour des spectateurs curieux de découvrir du Shakespeare modernisé et encore plus déjanté qu’à l’époque!
27 octobre 2015
Par Alice Moraz
27 octobre 2015
Par Elisa Picci
Shakespeare: agiter avant emploi
S’inspirant de La Nuit des Rois de Shakespeare, Dan Jemmett propose une mise en scène teintée de l’humour shakespearien et modernisée pour le public d’aujourd’hui. Des personnages sur-vitaminés, de la musique qui swingue, un décor unique, tout est réuni pour nous embarquer dans une illusion originale.
L’intrigue reste fidèle à celle de La Nuit des Rois : après avoir été séparée de son frère jumeau Sébastien à cause d’un naufrage, Viola se retrouve à la cour du duc Orsino où elle se déguise en garçon pour pouvoir s’intégrer. Commence alors un imbroglio amoureux où Viola déguisée en Cesario tombe amoureuse du Duc, lui-même amoureux d’Olivia elle-même sous le charme de Cesario. Dan Jemmett a donc essayé de faire tenir les dix-sept personnages de l’œuvre de Shakespeare avec seulement cinq comédiens et une marionnette. Un pari relevé avec brio : pas de confusion chez le spectateur qui sait toujours exactement quel personnage parle, grâce à des costumes et accessoires bien particuliers pour chacun d’entre eux. Le thème du travestissement est d’ailleurs exploité à plusieurs niveaux pour ajouter davantage de comique à la pièce. Les comédiens n’hésitent pas à se changer sur scène pour rompre l’illusion : le Duc devient Malvolio devant nos yeux en changeant de perruque et en mettant ses lunettes et Viola devient Sébastien en ajoutant juste un chapeau.
Les caractères sont fortement soulignés. Feste (Marc Prin) devient le véritable bouffon du public : il raconte des blagues tellement mauvaises qu’elles finissent forcément par faire esquisser au moins un sourire au spectateur. Il est aussi le narrateur de certains moments du spectacle ce qui est très ingénieux puisque cela aide à ne pas se perdre dans l’histoire. Egalement disc-jockey, il passe régulièrement diverses chansons sur son tourne-disque, nous envoûtant ainsi au rythme du Music-Hall. Mention spéciale à Vincent Berger dans le rôle de Sir Toby et à ses talents de ventriloque : son copain de débauche Sir Andrew devient dans cette mise en scène une marionnette manipulée par le comédien. Le personnage de Malvolio (Antonio Gil Martinez) apparaît dans cette mise en scène comme le véritable potentiel comique, dénué des aspects inquiétants qu’il a dans le texte original. Chez Dan Jemmett, Molvolio est légèrement idiot et constamment berné par les autres personnages, ce qui crée des situations très drôles. Olivia (Valérie Crouzet) séduit par son allure très pin-up de comtesse. Delphine Cogniard interprète Viola et Sébastien de façon brillante, tant le changement de rôle entre les deux personnages paraît naturel. Ces deux rôles contrastent aussi avec les autres personnages de la pièce par une tonalité plus sombre offrant une véritable richesse du point de vue des émotions à cette mise en scène.
N’hésitez plus et partez à la découverte d’une nouvelle interprétation de Shakespeare qui saura vous secouer ! A découvrir au Théâtre de Carouge à Genève jusqu’au 15 novembre 2015 !
27 octobre 2015
Par Elisa Picci