La Suisse et la mort
Conception et interprétation FUR compagnie / Théâtre de l’Usine / du 15 au 21 octobre 2015 / Critiques par Deborah Strebel et Valmir Rexhepi.
15 octobre 2015
Par Deborah Strebel
La Suisse en quelques clichés
Dès l’entrée dans la salle, le spectateur est immergé dans un univers cent pour cent suisse. Alors que six comédiens se tiennent face au public avec une pomme sur la tête, une odeur de fondue au fromage se répand peu à peu. Cette spécialité helvétique est préparée en direct. La scène est épurée, dotée simplement d’un banc en bois à cour et d’une table munie d’un réchaud prêt à recevoir le caquelon fumant, à jardin. Une présentation PowerPoint est alors projetée. Il s’agit d’un test de naturalisation. Chaque diapositive correspond à une question. Ces interrogations, au contenu loufoque, parodient allégrement ce processus administratif fastidieux.
Évoquant le célèbre film de Rolf Lyssy Les faiseurs de Suisses, cette entrée en matière donne le ton. Sous la forme revisitée de la revue s’enchaînent ainsi des courts sketchs, entrecoupés par une interprétation en slam du chant traditionnel le Ranz des vaches et plus tard par une chorégraphie reprenant des mouvements issus de danses folkloriques sur une musique pop. Les mêmes personnages reviennent. Des fragments de leur vie, sans réels liens apparents, sont présentés, mettant en avant les manies stéréotypiques des Suisses, tels le respect très rigoureux des règlements, évoqué dans une comique saynète où plongée dans le noir, une jeune femme se plaint du bruit que font les voisins et s’apprête à intervenir. Son amie lui demande alors d’attendre 22h01 afin que sa requête devienne légale. Elle s’exécute et hurle à 22h01 avant de s’apercevoir qu’elle n’a pas changé l’heure de sa montre : en réalité, il n’est que 21h01.
La thématique de la mort citée en titre est traitée de manière sporadique avec une ironie qui accentue l’absurdité de certaines initiatives macabres mise en place ces dernières années. À commencer par « Deathbook », site Internet vendant des pages pour remplacer les tombes et désencombrer les cimetières… Moyennant une somme élevée, les clients peuvent choisir leur épitaphe et leur fond d’écran. Une notification « Je suis mort » est également envoyée à tous leurs contacts. Le spectacle fait également une allusion à Exit (l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) en soulignant l’étrangeté de la démarche qui consiste à faire appel à un tiers pour mettre fin à ses jours.
Dépoussiérant les clichés avec vivacité, les jeunes membres de la FUR compagnie, tous issus de la Manufacture, témoignent dans ce spectacle d’un attachement particulier à leur patrie. La variété des sujets abordés, allant de l’accueil de migrants érythréens à l’assistance sexuelle, peut sembler désordonnée. Néanmoins, le rire parvient à apporter de l’harmonie dans cette joyeuse hétérogénéité.
15 octobre 2015
Par Deborah Strebel
15 octobre 2015
Par Valmir Rexhepi
La Suisse en quelques clichés
Dégagé de toute intrigue, La Suisse et la mort se donne sur le mode de ces châteaux composés de pièces en enfilade. L’architecture, tout comme le titre, est difficile à cerner, mais on avance. Sans le souci de la continuité, on passe d’une scène à l’autre. Le banal devient surprenant, le quotidien captivant, l’ordinaire dérangeant.
Issus de la Manufacture (Haute École de Théâtre de Suisse Romande ), c’est sur la scène du Théâtre de l’Usine que les comédiens Agathe Hazard-Raboud, Jérôme Chapuis, Julien Jacquérioz, Piera Bellato, Rébecca Balestra, Simon Romang se retrouvent pour fabriquer La Suisse et la mort. Une pièce qui se décline en toute une série de tableaux mettant en jeu le titre sans pour autant l’épuiser. Sur le plateau, cinq comédiens pour plus de 40 personnages distribués en plus d’une dizaine d’instantanés. L’entreprise semble balzacienne. Mais on ne s’y perd pas. Dans un décor qui ne change pas, mais devient autre chose au gré des transitions (banque, église, salon, QG d’une association,…), les comédiens prennent la pose.
Ça va vite. Un couple s’exerce pour l’examen de naturalisation. Un client, à genoux, répète religieusement les dogmes de son banquier. Une femme tente, en vain, de dialoguer avec des agents d’assurance. Une autre femme apprend, trop tard, la mort de sa mère qui ne voulait « surtout pas qu’on [la] dérange ». Ça va vraiment vite. Une urgence de dire qui pourtant n’effraie pas le spectateur. On rit souvent, on rit jaune parfois. On ne rit pas, aussi. Au milieu des tableaux comiques ou satiriques, il y a des motifs tragiques. Un type annonce à ses amis qu’il lui reste un an à vivre. Plus un bruit. Les personnages oseront rompre le silence et reprendre le jeu.
Entre clichés et scènes intimes, La Suisse et la mort se construit sur du banal, du quotidien. Point de fioriture ou d’extravagance. Pas plus d’intrigue déployée sur l’ensemble. La pièce n’intrigue pas. Elle montre sans poser de question. Elle dit sans répondre. Mais elle dérange. Et c’est là sa force.
15 octobre 2015
Par Valmir Rexhepi