Keep Calm and Savour

Par Josefa Terribilini

The Shrink’s Cabinet / de Marco Battaglia et Jack R. Williams / mise en scène Jack R. Williams / Festival FriScènes / le 22 octobre 2015 / plus d’infos

©Julien James Auzan
©Julien James Auzan

Assister à une confrontation entre la sulfureuse Marilyn et la reine d’Angleterre ? à la rencontre exceptionnelle de Sigmund Freud avec Tarzan ? à un débat physico-politique opposant Albert Einstein à Fidel Castro ? Vous en rêviez ? La compagnie des Caretakers l’a fait ! Dans cette nouvelle comédie cosignée par Marco Battaglia et Jack R. Williams, une tablée de personnages hauts en couleur nous embarque dans un monde british et onirique, et tout cela en un seul repas. Un petit régal !

Au menu ce soir

Un pull-over rouge, une longue nappe verte, un sapin enguirlandé, quelques « Darling ! » et nous voilà plongés dans l’atmosphère si particulière d’un foyer bourgeois à la veille d’un Noël anglais. Alors que les douze convives arrivent avec leur lot de tensions et de prises de bec, on sent monter avec délice un humour qui rappelle d’abord le film Joyeuses Funérailles mais qui verse vite du côté des Monthy Python. Ainsi, lorsque l’accueillante mère de famille troque son tailleur vert pour une robe blanche et ressort de la cuisine affublée d’une perruque, tout change : « maman ?! » s’écrie Jack, étudiant en philosophie rentré passer les fêtes en famille. Mais personne ne répond, personne ne semble s’en étonner. Au fur et à mesure que s’écoulent les heures, auparavant d’un ennui éprouvant pour le jeune protagoniste, les membres de l’assemblée tour à tour se transforment. Le spectacle bascule alors dans un monde quasi onirique où réel et irréel se confondent. Sont-ce des chimères ? Est-ce un excès d’alcool ?

Il a pour le moins fallu une bonne dose de folie à Marco Battaglia pour créer cette pièce de l’excentricité inspirée par sa propre expérience, et à laquelle The Caretakers, une troupe bernoise de comédiens amateurs, donne vie. Et c’est dans la langue de Shakespeare que Battaglia et son acolyte du Sussex, Jack R. Williams, choisissent de l’écrire, afin de parfaire l’ambiance de cette comédie anglaise (pas d’inquiétude cependant, des surtitres sont projetés). Quant à Jack R. Williams, on le retrouve sur scène sous les traits de Bertie le physicien et père de famille ; sa première apparition nous annonce aussitôt la filiation de la pièce avec les œuvres de Dürrenmatt, filiation que les auteurs revendiquent explicitement. Le scientifique lunaire (qui prendra dans un second temps l’apparence d’Einstein) ajoute une touche philosophico-décalée, et cette fois-ci très suisse, à cette création on ne peut plus british.

Food for thought

The Shrink’s Cabinet ? Voilà qui est révélateur. Littéralement « le cabinet du psychiatre », le titre nous avertit immédiatement que le spectacle mettra à mal notre entendement. Les scènes présentées relèvent-elles de la psychose, de la névrose, sont-elles de pures manifestations de notre inconscient ? Le spectateur hésite avec Jack, finit par lâcher prise et se laisse lui aussi entraîner dans des dialogues déroutants, comme tout droit sortis d’un songe. Il n’est donc pas étonnant de retrouver Sigmund Freud à la table des convives. Mais cette fois-ci, le fameux spécialiste du cerveau humain ne nous aidera pas à déchiffrer ce rêve, car lui-même en fait partie.

Un indice nous est toutefois donné : « on ne connaît jamais vraiment les gens » nous dit-on, et c’est bien cela que va expérimenter Jack. Caricatures exacerbées, les avatars des membres de la famille, aussi hétéroclites qu’excentriques, dispensent des bribes de savoir à l’étudiant perdu, en proie à des doutes existentiels. C’est en lui parlant de leur passé qu’ils vont éclairer son futur, et en profiter également pour s’adonner entre eux à des discussions animées desquelles naîtront des situations cocasses et inattendues (imaginez-vous la déception écœurée de Mozart en écoutant Yoko Ono et John Lennon !). Dommage toutefois que la mise en scène ne soit pas plus inventive et dynamique ; entre deux plats ou deux verres de whisky, on aurait peut-être aimé voir plus de mouvements, plus d’entrées, de sorties, de déplacements scéniques afin de mieux soutenir le propos de la pièce. Face à ce flot de paroles – drolatiques, certes – les oreilles du spectateur tendent à s’épuiser cependant que ses yeux restent un peu sur leur faim.

Il n’en reste pas moins que l’ensemble est agréable. C’est un spectacle qui ne prétend à rien d’autre qu’à détendre, et cela fonctionne. Battaglia et Williams mettent ironiquement dans la bouche de la tante de Jack, réincarnation de Margaret Thatcher, l’idée qu’il est indigne de bousculer les classiques. Les auteurs s’amusent pourtant à provoquer cette maxime dans une pièce qui se joue des conventions et mélange mille références. Mais en fin de compte, ils respectent la suite de la diatribe de Maggie : « keep it simple ! ». Et en effet, The Shrink’s Cabinet sait demeurer simple, et c’est bon. Alors, savourez-le !