par Deborah Strebel
La Maladie de la famille M / de Fausto Paravidino / mise en scène Andrea Novicov / du 14 au 25 juillet 2015 / Théâtre de l’Orangerie / plus d’infos
Tragi-comédie contemporaine avec ces personnages drôles bien qu’un peu abîmés, La maladie de la famille M impressionne par la subtilité de son texte. Les compagnies Superprod, Jeanne Föhn et Angledange en proposent une délicate et rafraîchissante mise en scène.
Luigi, vieille homme vulnérable et veuf dont la mémoire flanche peu à peu, vit avec ses trois enfants : Marta, qui lui procure les soins élémentaires en plus de cuisiner chaque repas, Maria, perdue au sein d’une relation sentimentale triangulaire et le fils cadet, Gianni. Tous semblent atteints d’une curieuse maladie. Lassitude, ennui, perte de repères sont les premiers symptômes de ces maux contagieux. Les éventuelles causes de ce germe pathogène peuvent provenir de la lourde absence de la mère voire de l’actuelle situation précaire des provinces italiennes où l’emploi se raréfie. Si aujourd’hui, aucun vaccin n’est connu, un remède parvient à apaiser légèrement les patients en leur offrant un bref instant d’amusement : le quiproquo amoureux.
C’est ce virus qu’a dépeint avec talent le jeune et très prometteur dramaturge génois Fausto Paravidino en 2002 dans son texte La maladie de la famille M., inscrit au répertoire de la Comédie-Française. Mais ce n’est pas sous cet angle médical qu’est présentée, en ce moment, la pièce au Théâtre de l’Orangerie. Au contraire, loin de l’analyse scientifique d’un trouble psychologique, le spectacle adopte ici une forte dimension esthétique. Le metteur en scène Andrea Novicov annonce avoir opté pour un réalisme poussé à l’extrême et dérangeant, dans l’esprit du travail de Gregory Crewdson, photographe connu pour avoir cherché à dévoiler l’envers du rêve américain, à l’aide de clichés représentant l’intérieur des foyers dont l’éclat froid offre un sentiment d’étrangeté. Les spectateurs retrouvent cette même impression ici grâce aux savants jeux de lumière qui subliment les silhouettes par un éclairage provenant soit du sol, soit du plafond. En découle une atmosphère presque lynchienne où les cadrages autant que les silences soulignent les déséquilibres dont souffrent les protagonistes.
Les répliques aussi lapidaires qu’efficaces, à la manière de celles de Jean-Luc Lagarce, sont souvent malmenées, tantôt entrecoupées par de violents bruits de voitures passant à toute vitesse, tantôt étouffées par une musique assommante s’échappant d’une boîte de nuit. Ces diverses perturbations autour de la parole révèlent ainsi le thème phare de la pièce : l’incommunicabilité. En toutes circonstances, les échanges s’avèrent difficiles, que ce soit au sein de la maison, symbolisée par un dispositif carré posé au centre de la scène, telle une petite oasis au milieu du désert, ou que ce soit à l’extérieur sous la neige où déambulent en rond les héros.
Projet original, car il n’a pas été lancé par un metteur en scène mais par deux acteurs, Céline Nidegger et Bastien Semenzato, fondateurs de la compagnie Superprod, qui ont ensuite convié Aline Papin et Ludovic Chazaud, directeur de la compagnie Jeanne Föhn, avant d’appeler l’ex directeur du TPR, à la tête de la compagnie Angledange, pour la mise en scène, ce spectacle évoque avec beauté et fragilité le malaise écrit par Fausto Paravidino.
Il est fortement recommandé, en guise de prévention ou juste par plaisir cathartique, de se frotter le temps d’une heure et demie à cette gêne, se nourrissant de doutes, de colère, de mutisme, de désarroi et qui a envahi l’attachante famille M.