par Laura Weber
Comme on choisit sa pizza / par la compagnie Outrebise / mise en scène Maude Lançon / du 2 juin au 14 juin 2015 / Théâtre 2.21 / plus d’infos / en tournée jusqu’au 4 juillet
En tout, Maude Lançon propose très exactement 8 426 880 mises en scène possibles, elle les a comptées elle-même. Car Comme on choisit sa pizza est une pièce rigoureuse, (dé)construite à partir de huit grands types de choix contenant respectivement entre quatre et vingt options soigneusement retranscrites par un diagramme sur le mur. Ce protocole méticuleux fait pourtant la part belle à l’improvisation, qui naît de la rencontre entre l’actrice et son unique spectateur.
Maude Lançon, fraîchement diplômée de la Manufacture, se lance dans une entreprise originale avec sa première création, longue de trente minutes et découpée en deux parties. Comme on choisit sa pizza se renouvelle à chaque représentation. Un seul spectateur est autorisé à entrer dans la salle de répétition avec l’actrice et Thierry Simonot, le techniscéniste. Au préalable, la metteuse en scène a très soigneusement décomposé toutes les étapes de la réalisation théâtrale pour la reconstruire avec le spectateur, qui choisit lui-même ses propres ingrédients : le costume, le thème, les mouvements, le son … Toujours en suivant le protocole rigoureux constitué de schémas binaires, de statistiques et de diagrammes.
Dans la petite salle de répétition dépouillée, au coin du hall d’entrée, seuls des graphiques dessinés à la craie ornent les murs et décrivent avec minutie le déroulement du spectacle. Le spectateur compose sa recette « à la carte », d’après les propositions affichées sur les parois. Quinze minutes plus tard, l’espace se transforme sous ses yeux en véritable scène de théâtre. Dans ce décor de sacs en toile descendus du plafond, le jeu de l’actrice, plongée dans la demi-obscurité, se développe au gré du thème imposé.
Le spectateur hagard écoute la comédienne énoncer vertigineusement toutes les options possibles. Le choix, il l’a dans la première partie de la pièce, mais le résultat de cette composition lui reste obscur et, jusqu’au dernier moment, il ne comprend pas où la pièce l’emmène. Pour Maude Lançon elle-même, l’issue demeure incertaine. Malgré l’établissement de cette méthode rigide, elle devra s’abandonner dans le rôle qui lui a été attribué, seule, en face du spectateur. Si dans les premières minutes, la procédure apparaît contraignante, elle se révèle nécessaire pour l’émergence de l’improvisation. Pour respecter les contraintes, l’actrice n’a d’autre choix que de débrider son imagination pendant le petit instant de préparation dont elle dispose. Le spectateur assiste à cette scène curieuse, composée par ses choix fortuits et dont il est le metteur en scène pour cette unique représentation.
Comme on choisit sa pizza invite pourtant à se défaire des catégories figées, mais rassurantes, créées par tout un chacun pour simplifier la réalité des choses. Progressivement, la pièce se détache de son protocole rigoureux afin de laisser place à un instant fugitif et spontané. Après avoir passé commande, le spectateur peut découvrir cette recette hasardeuse. Il est simplement convié à apprécier ce moment de théâtre pour soi, né d’une rencontre, sans avoir à se questionner sur les implicites de la pièce.
Et vous, à quoi la voulez-vous, votre part de pizza?