par Noémie Desarzens
33 tours et quelques secondes / conception Lina Majdalanie et Rabih Mroué / du 13 au 14 juin 2015 / Théâtre de Vidy / plus d’infos
Comment rendre compte de l’absence sur scène ? C’est à ce défi que répond le spectacle 33 tours et quelques secondes. Dans le creux laissé par le suicide d’un certain Diyaa Yamout, jeune libanais de 28 ans, se dresse un portrait de la société contemporaine libanaise et de ses multiples facettes.
Sur le plateau, aucune présence humaine ne se manifeste. Divers objets animent et occupent l’espace scénique : un ordinateur, un bureau, un répondeur, un téléphone mobile, des livres, un tapis. À côté, des enceintes reliées à un tourne-disque. Au fond, une vieille télévision. Le plateau est plongé dans une semi-pénombre, rehaussée de quelques faisceaux lumineux éclairant les affaires d’une personne absente. Après une observation minutieuse de chacune d’elle, des questions circulent dans le public : est-ce là le spectacle ? Soudain, la chanson de Jacques Brel Le Dernier Repas interrompt les conversations. Les lumières baissent. Tout aussi brusquement qu’elle s’est enclenchée, la musique s’interrompt. La télévision s’allume. Le téléphone sonne. Une page Facebook, celle d’un dénommé Diyaa Yamout, se projette sur une toile en arrière-plan.
33 tours et quelques secondes, spectacle créé en 2012, relate à travers le son, l’image et l’écriture l’impact du suicide de ce militant de 28 ans dans la société libanaise d’aujourd’hui. Ce jeune homme est ainsi évoqué en l’absence de tout acteur, à travers les outils de communications qu’il a laissé derrière lui. Lina Majdalanie et Rabih Mroué, couple d’artistes libanais, parviennent ainsi à construire un spectacle « sur la présence de l’absence ». Partant d’un événement réel, ils vont entremêler fiction et images d’archive afin de représenter l’actualité de leur pays, aux prises avec les contradictions et les conflits politico-religieux.
Dans ce spectacle, tout vise à souligner l’absence, dramatique, de ce jeune homme. Le téléphone sonne désespérément, les messages restent sans réponse, le profil Facebook ne montre aucune photo et le fax déverse des feuillets sans plus de destinataire. Cet univers personnel contraste avec les nouvelles relayées par les journaux télévisés, montrées en alternance. Un décalage se crée rapidement, entre les réactions de la jeunesse libanaise publiées sur le réseau social, amie de Diyaa ou sympathisante de son combat, et le relai médiatique.
C’est paradoxalement au cœur de l’absence qu’un vide se comble : cette installation sur la scène théâtrale parvient à peupler de présences un espace vide et à nous confronter à une violence qui semble faire partie intégrante de cette société. Est-ce que mourir pour défendre ses idées a un impact sur le système sociopolitique ? C’est à ce genre de question que réagissent les quelque 3500 amis Facebook de Diyaa Yamout sur le mur de leur héros incompris.
Le spectacle se termine sur la chanson magistrale de Janis Joplin Piece of My Heart. La musique s’interrompt brusquement, la lumière refait son apparition. À nous de sortir de ce microcosme que Lina Majdalanie et Rabih Mroué sont parvenus à construire afin de nous plonger au cœur des problématiques politiques, sociales et religieuses qui habitent le Liban. À découvrir jusqu’au 14 juin 2015, dans le cadre de la rétrospective qui anime actuellement le Théâtre de Vidy.