par Jonathan Hofer
Y penser sans cesse / de Marie Ndiaye / mise en scène Nalini Selvadorey / le 29 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Dépaysé, meurtri, abandonné. Grandir dans un pays qui n’est pas le sien, dans une langue qui n’est pas la sienne. Y penser sans cesse s’ancre dans un paysage berlinois et, comme les stolpersteine, le texte fait ressurgir les mémoires des victimes de la guerre.
Moitié supérieure d’un visage noir, robe noire, pieds nus, éclairages sous des angles différents, un peu de fumée, une montagne de tabourets pliants, un texte défilant sur un écran et une pianiste. Voici tout ce que la proposition de Nalini Selvadorey donne à voir. Mais tendez l’oreille, laissez vous prendre, bercer par la musique du texte. Portée par la diction irréprochable de Dominique Gubser, la plume de Marie Ndiaye prenait forme dans l’atelier du théâtre des Osses hier soir. Y penser sans cesse est un hommage aux mères et aux enfants, victimes des guerres à travers le monde. Difficile de raconter l’histoire de la « pièce ». Des dialogues entre une mère et son fils, des lieux, des souvenirs, la vision d’une langue perdue face à la langue d’adoption : « Gehen wir nach Hause ? ». Par une forme mixte, entre poésie et théâtre, le texte se destinait d’abord à la lecture. Une forme réutilisée dans la performance à travers les mots défilant sur un écran ou l’épuration de la mise en scène. La litanie berce pendant une petite demi-heure qui s’éteint tranquillement sur le Clair de lune de Debussy. On manque d’ailleurs parfois de s’y endormir : la complexité du texte et l’absence d’accroches scéniques empêchent de se rattacher facilement à quelque chose jusqu’à l’arrivée de l’écran. Le déplacement demandé au public vise également à le rendre moins passif.
Que dire de plus ? Le spectacle est un coup de poing poétique. Court, intense : le public en prend plein la tête. Malgré la difficulté d’approche, personne n’en ressort indemne et en quittant le théâtre, on est quelque peu chamboulé par cette prestation qui, assurément, vaut le détour.