par Alice Bottarelli
The Forest of Athens / par The Black Sheep Theatre Company / texte et mise en scène Elizabeth Leeman / le 29 avril 2015 / Grange de Dorigny / plus d’infos
Vous croyiez connaître vos classiques, maîtriser Shakespeare sur le bout du doigt ? Et pourtant un doute vous saisit : le grand homme aurait-il vraiment écrit cette comédie déjantée et décalée, où les fées sont addicts à l’opium, où les sorcières mijotent des potions improbables et cumulent des fiascos innombrables, où un acteur ivre et déchu fait l’objet de toutes les amours, surtout les plus embarrassantes ? La réécriture, ou plutôt la parodie légère et espiègle que propose Elizabeth Leemann au Festival de théâtre non professionnel Fécule à la Grange de Dorigny, fait rejaillir sous un jour nouveau les ressorts comiques déjà éprouvés, et toujours efficaces, des pièces shakespeariennes.
Theo, ancien garçon de cuisine chez le duc d’Athènes, débarque dans le pub du coin pour fêter sa récente démission, et se lancer vers de nouveaux horizons. Il y apprend que les bois alentours regorgent de fées aux pouvoirs très profitables – selon les dires d’un acteur sur la touche passablement soûl, et qui le restera. Theo, qui se sent l’âme chevaleresque et aventureuse, emmène donc derechef avec lui la serveuse du pub, sceptique mais intriguée, vers la forêt. Il ne se doute pas de ce qui l’y attend.
Les allusions se mettent alors à foisonner. L’écriture d’Elizabeth Leemann parvient à saisir un esprit shakespearien, et à redessiner au vol les schémas narratifs et les détails singuliers de ses comédies les plus célèbres. Le cadre de la forêt suscite cette dimension magique, parfois même étrange, où des fées capricieuses exercent leurs charmes sur le premier venu. Les quiproquos s’enchaînent et s’emmêlent jusqu’à former des nœuds qui se défont d’un coup de la manière la plus étonnamment aisée qui soit. La course-poursuite qui, à la fin de la pièce, réunit presque tous les personnages dans une chasse éperdue où plus personne ne sait qui il doit poursuivre et par qui il est poursuivi, illustre ce bouillonnement burlesque qui se résout en un tournemain sous la baguette d’Oberon, car évidemment, all’s well that ends well. Les évènements vécus transforment constamment les personnages, et les deux sexes s’intervertissent pour donner naissance à des ardeurs équivoques. Chacun finit, plus ou moins à son gré, par trouver sa place, mais seulement après avoir rusé et dupé tous les autres. Et ce pour le plus grand plaisir des littéraires depuis longtemps conquis par la prose du dramaturge anglais. Le jeu des reprises, renversements et travestissements fonctionne à merveille dans le cadre de ce festival universitaire, où les connaissances partagées permettent au texte de trouver son public. Ce qui ne signifie pas que la pièce est inaccessible aux spectateurs moins familiers de notre ami William ; au contraire, ceux-ci auront la possibilité de le découvrir sous un éclairage inédit.
Les comédiens, plus ou moins débutants, ajoutent aux nombreux gags du texte leurs propres inventions corporelles, et le comique de leurs gestes et mimiques contribue au ton d’absurdité propre à un certain humour anglais qui règne sur scène. Après avoir vu au Fécule Macbeth et une réadaptation d’Alice in Wonderland, on est heureux de retrouver les trois sorcières de la Scottish Play dansant des gigues proprement envoûtantes dans une ambiance de douce démence à la Lewis Carroll, où l’on ne sera dès lors guère étonné de voir un prince indien gonfler des ballons d’anniversaire au beau milieu d’une forêt grecque. Malgré une certaine inégalité de jeu entre les acteurs et un rythme qui, explosif pendant les scènes jouées, a tendance à retomber lors des changements de décors, The Forest of Athens contribue à alimenter le dynamisme d’un festival qui se distingue par sa diversité et sa vivacité. Le théâtre amateur a cela de charmant qu’une énergie insoupçonnée s’en dégage souvent : comédiens et metteurs en scène, soudés autour d’un projet commun, forment une troupe solide et solidaire, et le soir de la première, malgré les inévitables couacs, l’adrénaline achève de donner à la pièce ce pétillant qui se communique si bien au public.