Macbeth / The Sweet Sorrow Theater Group / mise en scène Florence Rivero / le 21 avril 2015 / Grange de Dorigny / plus d’infos
The Forest of Athens / The Black Sheep Theatre Company / texte et mise en scène : Elizabeth Leeman / le 29 avril 2015 / Grange de Dorigny / plus d’infos
En matière de théâtre, il semblerait que seules deux choses soient indépassables: la dichotomie entre tragédie et comédie, qui n’a guère été que reformulée au travers des siècles – et Shakespeare. C’est en tout cas ce que semble confirmer le Fécule (Festival des cultures universitaires), et en particulier les toujours féconds étudiants-comédiens en langue et littérature anglaise, à travers deux pièces magistrales – Macbeth et The Forest of Athens.
La très sorcièresque Florence Rivero (elle s’est en effet gardé sans doute le rôle le plus jouissif) a ainsi pu mettre en scène un Macbeth inventif et efficace, qui aura catharsisé les passions les plus infâmes, tandis qu’Elizabeth Leemann aura fait rire aux larmes les plus sceptiques des spectateurs avec The Forest of Athens, une comédie originale shakespearo-pop.
On ne présente bien entendu plus Macbeth, tant le personnage éponyme, son épouse machiavélique au moins aussi célèbre que lui et leur sanglante accession au trône font partie de l’imaginaire tragique occidental. Le parti pris assumé, visible, comme souvent avec les longues pièces shakespeariennes, dans le choix des scènes coupées, de se focaliser sur Lord et non sur Lady Macbeth permet d’épurer l’intrigue, de dédiaboliser une figure féminine rendue généralement coupable de tous les maux et de mettre en exergue la folie du anti-héros, avec une jubilation non contenue. Le décor sobre à l’avant-scène (du mobilier pour représenter à gauche une salle à manger, lieu des scènes de groupe, et à droite une espace plus intime, où se déroulent les face-à-face) est contrasté par un imposant trône en arrière-plan peut-être sous-utilisé mais qui figure dès les premiers instants l’enjeu de la pièce, soit la volonté maladive d’accéder au pouvoir, comme si l’issue était contenue dans la situation initiale – comme une tragédie, quoi.
Ce décor très classique est alors peu à peu déstructuré, à l’image de l’occupant des lieux, un Macbeth légèrement surjoué par Raphaël Meyer mais qui convainc rapidement, démolissant les objets tangibles à défaut de pouvoir détruire les fantômes qui le hantent. L’interaction entre visible et invisible (voix off lugubres, masques apposés sur le visage de convives réels pour faire vivre l’hallucination, sorcière au singulier, la distribution ne permettant probablement pas d’en avoir trois, mais quelle sorcière!) est inventive et crédible, de même que les scènes de violence, qui laissent transpirer une atmosphère ambiguë. En effet, la superposition de scènes de cour réalistes et d’interludes inquiétants nous laisse cette sensation bien connue, lorsqu’un malheur survient, quand le réel ne s’accorde pas aux faits, se plaît à contredire le drame par son immuabilité. C’est pourquoi Macbeth tente de briser ce qui est pour éviter d’affronter ce qui a été, jusqu’à un final où la folie quasi-comique offre la seule issue possible à telle schizophrénie. La mort subséquente n’est ensuite qu’anecdotique.
Changement radical de tonalité pour The Forest of Athens, qui résonne pourtant très bien avec la pièce précédente. C’est que cette comédie proposée en exclusivité à la Grange de Dorigny bâtit son intrigue, ses personnages et ses ressorts humoristiques sur le modèle shakespearien. La pièce s’ouvre ainsi sur une scène inaugurale de losers alcoolisés atemporels servis par une barmaid tout aussi désabusée. L’échappatoire au réel déceptif est cette fois le moteur du début de l’intrigue, non pas de son terme, et lance l’aventure. Cette dernière a pour cadre une forêt éminemment shakespearienne, dans laquelle créatures fantastiques côtoient clowns ou magiciens ratés en un pot-pourri d’As You Like It, A Midsummer Night’s Dream ou même Macbeth, les terribles sorcières devenant élèves potaches. Les gags s’enchaînent en saynètes entrecoupées par de trop longs noirs, les références à la pop culture sont parfois lourdes mais le tout fonctionne et contribue à remuer le terreau élisabéthain. Une véritable intrigue est maintenue malgré le découpage, une quête pseudo-héroïque et burlesque qui captive le spectateur. Le jeu sur les différents types de comique, l’inversion des genres comme motif humoristique et narratif, les quiproquos en chaîne se révèlent véritablement intemporels. Ce qui semblait a priori une entreprise trop ambitieuse et risquant le mauvais goût – comment marier de grandes pièces et de la comédie musicale sans risque? – impressionne par la simplicité des mécanismes apparents et la richesse de l’intertexte avec l’univers shakespearien.
Les deux metteuses en scène ont en somme su transcender les nombreuses contraintes financières, matérielles et distributives pour offrir de véritables œuvres à un public qui était simplement venu voir des pièces. Rarement le barde de Stratford aura trouvé une meilleure utilisation de son matériau initial et du potentiel de troupes pourtant amatrices et circonstancielles. On a déjà hâte de les retrouver en 2016, pour autant qu’elles se produisent à nouveau – As They Like It.