par Jonathan Hofer
L’Interrogatoire / de Jacques Chessex / Mise en scène Laurent Gachoud / du 22 au 24 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Les lumières s’éteignent, l’Ogre raisonne et résonne. Pendant près d’une heure et demi, la confrontation fait rage, elle bouscule, elle chamboule. Le décor se déchire. Laisse place à la nudité, au rire, à la haine, au vide.
La voix profonde séduit tout de suite. Le physique, d’une ressemblance frappante avec celui de l’auteur, impressionne par sa prestance. Dans une salle peu éclairée, la voix soliloque. Le spectateur reconnaît les thèmes « chesseiens » familiers : religion, écriture, sexualité, … Soudain, en contraste total avec cette première figure, une jeune femme gracieuse (l’interrogateur) intervient. Elle remet en question, creuse, cherche à savoir les fondements de la pensée, brise le cadre bien installé, se moque de tout … L’Interrogatoire, c’est la confrontation entre un Chessex auto-fictif et son alter ego, ici féminin, bien décidée à chambouler la sérénité du plateau.
Dans cette interprétation, créée l’année dernière par la Compagnie de l’Oranger, le public assiste à une partie de cache-cache entre les deux personnages. Chacun prend tantôt le rôle du tortionnaire, tantôt le rôle du supplicié. Ils se cherchent, s’évitent et se mêlent parfois dans une sensualité aussi touchante par sa simplicité que perturbante par son ambiguïté quasi incestueuse. La prestation ne comporte pas d’« Ogre ». Le personnage de Chessex, souvent tourné en ridicule par sa part féminine, n’arrive pas à maintenir une position ferme.
Saluons le travail sur les lumières réalisé pour le spectacle. Les jeux et le dynamisme qu’elles créent dirigent le spectateur, le transportent d’un coin à l’autre de la scène. Certaines fois fixes, certaines fois en mouvement, lueur d’une simple ampoule ou projecteur aveuglant dirigé vers le public, elles fascinent par la diversité de leurs emplois. En accompagnement, la musique charme le spectateur, elle aussi à travers des registres différents, sensuelle ou matraquante. La prestation joue sur une panoplie de registres et de rythmes : l’ambiance transporte.
Quelques interrogations, déceptions peut-être, demeurent. Comme toujours chez Chessex, la sexualité joue un rôle dominant. L’écrivain romand prend d’ailleurs plaisir à décrire de quelle façon le sexe féminin, les lèvres et leur sillon en particulier, le passionnent. Dans une scène d’une splendeur et d’une sensualité inouïes, l’interrogateur se fait déshabiller par le personnage de Chessex, un air de guitare planant dans l’air, il la caresse de ses mains, sans jamais la toucher réellement, mais tout finit par s’écraser dans un paroxysme étrange. Est-il pertinent d’illustrer les fantasmes si crûment décrits par l’auteur à travers une cuillère de marmelade sur un dos nu ? Si le rapprochement entre nourriture et désir charnel est pertinent, le geste appliqué semble quelque peu timide. Pourquoi ne pas répandre cette confiture, la lécher ? Dévorer ce corps féminin qui semble si affamant, si irrésistiblement attirant ? En somme : une ambiance prenante et un spectacle qui aurait pu convaincre, si la folie du geste avait servi la folie du texte.