Festival Fécule 2015

Festival Fécule 2015

Festival Fécule 2015 / du 20 avril au 3 mai 2015 / Grange de Dorigny (Lausanne) / Critiques par Alice Bottarelli, Deborah Strebel et Frédéric Guignard .


20 avril 2015

The Forest of Athens : Songe d’une soirée de printemps, ou As You Like Shakespeare

© Fécule 2015

Vous croyiez connaître vos classiques, maîtriser Shakespeare sur le bout du doigt ? Et pourtant un doute vous saisit : le grand homme aurait-il vraiment écrit cette comédie déjantée et décalée, où les fées sont addicts à l’opium, où les sorcières mijotent des potions improbables et cumulent des fiascos innombrables, où un acteur ivre et déchu fait l’objet de toutes les amours, surtout les plus embarrassantes ? La réécriture, ou plutôt la parodie légère et espiègle que propose Elizabeth Leemann au Festival de théâtre non professionnel Fécule à la Grange de Dorigny, fait rejaillir sous un jour nouveau les ressorts comiques déjà éprouvés, et toujours efficaces, des pièces shakespeariennes.

Theo, ancien garçon de cuisine chez le duc d’Athènes, débarque dans le pub du coin pour fêter sa récente démission, et se lancer vers de nouveaux horizons. Il y apprend que les bois alentours regorgent de fées aux pouvoirs très profitables – selon les dires d’un acteur sur la touche passablement soûl, et qui le restera. Theo, qui se sent l’âme chevaleresque et aventureuse, emmène donc derechef avec lui la serveuse du pub, sceptique mais intriguée, vers la forêt. Il ne se doute pas de ce qui l’y attend.

Les allusions se mettent alors à foisonner. L’écriture d’Elizabeth Leemann parvient à saisir un esprit shakespearien, et à redessiner au vol les schémas narratifs et les détails singuliers de ses comédies les plus célèbres. Le cadre de la forêt suscite cette dimension magique, parfois même étrange, où des fées capricieuses exercent leurs charmes sur le premier venu. Les quiproquos s’enchaînent et s’emmêlent jusqu’à former des nœuds qui se défont d’un coup de la manière la plus étonnamment aisée qui soit. La course-poursuite qui, à la fin de la pièce, réunit presque tous les personnages dans une chasse éperdue où plus personne ne sait qui il doit poursuivre et par qui il est poursuivi, illustre ce bouillonnement burlesque qui se résout en un tournemain sous la baguette d’Oberon, car évidemment, all’s well that ends well. Les évènements vécus transforment constamment les personnages, et les deux sexes s’intervertissent pour donner naissance à des ardeurs équivoques. Chacun finit, plus ou moins à son gré, par trouver sa place, mais seulement après avoir rusé et dupé tous les autres. Et ce pour le plus grand plaisir des littéraires depuis longtemps conquis par la prose du dramaturge anglais. Le jeu des reprises, renversements et travestissements fonctionne à merveille dans le cadre de ce festival universitaire, où les connaissances partagées permettent au texte de trouver son public. Ce qui ne signifie pas que la pièce est inaccessible aux spectateurs moins familiers de notre ami William ; au contraire, ceux-ci auront la possibilité de le découvrir sous un éclairage inédit.

Les comédiens, plus ou moins débutants, ajoutent aux nombreux gags du texte leurs propres inventions corporelles, et le comique de leurs gestes et mimiques contribue au ton d’absurdité propre à un certain humour anglais qui règne sur scène. Après avoir vu au Fécule Macbeth et une réadaptation d’Alice in Wonderland, on est heureux de retrouver les trois sorcières de la Scottish Play dansant des gigues proprement envoûtantes dans une ambiance de douce démence à la Lewis Carroll, où l’on ne sera dès lors guère étonné de voir un prince indien gonfler des ballons d’anniversaire au beau milieu d’une forêt grecque. Malgré une certaine inégalité de jeu entre les acteurs et un rythme qui, explosif pendant les scènes jouées, a tendance à retomber lors des changements de décors, The Forest of Athens contribue à alimenter le dynamisme d’un festival qui se distingue par sa diversité et sa vivacité. Le théâtre amateur a cela de charmant qu’une énergie insoupçonnée s’en dégage souvent : comédiens et metteurs en scène, soudés autour d’un projet commun, forment une troupe solide et solidaire, et le soir de la première, malgré les inévitables couacs, l’adrénaline achève de donner à la pièce ce pétillant qui se communique si bien au public.

20 avril 2015


20 avril 2015

DH2 : Deux impros pour un dénouement

© Fécule 2015

Le Pool d’Improvisation du Poly quitte les auditoires de l’EPFL pour envahir deux soirs de suite le théâtre de la Grange de Dorigny. Bonne humeur et belle énergie sont au rendez-vous.

Le Pool d’Improvisation du Poly (P.I.P.) propose cette année deux soirées dans le cadre du festival des cultures universitaires Fécule et clôt ainsi la saison du théâtre sur une touche comique et déjantée. Impliqué habituellement dans des matchs de ligue amateur suisse, le P.I.P., basé à l’EPFL, multiplie les projets, explorant le champ des possibilités de l’improvisation théâtrale et se produisant dans des lieux insolites. Après avoir fait son « cinéma » au Zinéma, salle cinématographique alternative lausannoise, la troupe amateur a également proposé un spectacle au musée cantonal de zoologie. Cette fois, elle se produit dans une vraie salle de théâtre et profite pleinement du matériel à disposition, notamment des micros. Avant le « festin improvisé » concocté le 3 mai, elle a repris le samedi 2 mai un concept original, déjà essayé une première fois dans un autre contexte.

DH2, imaginé par Vishal Joneja, se déroule en trois temps. Tout d’abord, l’ensemble des acteurs est divisé en deux équipes : les bleus reconnaissables grâce à un bandana et les rouges munis de nœuds papillon pailletés. Le public choisit un personnage et une action pour chacune des équipes, qui disposent alors de vingt minutes pour lancer leur intrigue. Les histoires se chevauchent : chaque joueur entre et sort de scène quand il le souhaite, cédant ainsi son tour à l’autre équipe. Après l’entracte, le maître de cérémonie demande aux spectateurs de choisir un objet. Chaque team devra inclure cet élément dans son récit. Enfin, dans l’ultime partie, les deux équipes doivent jouer ensemble et proposer une fin commune aux deux intrigues.

Ce soir-là, alors que chez les bleus, un roi fou, horrifié par les dragons est persuadé que ces sauriens cracheurs de feu ont enlevé sa fille adorée, chez les rouges, un pianiste alcoolique se démène pour concilier tant bien que mal vie professionnelle et vie privée. Deux récits que tout semble opposer, produits dans des genres distincts et sur des thématiques qui n’ont rien de commun, devront néanmoins se fondre l’un dans l’autre : cela crée des situations complètement absurdes déclenchant chez les spectateurs de grands fous rires. L’ensemble est porté par une musique jouée en direct. Installé à cour, le jeune pianiste parvient avec excellence à suggérer des ambiances sonores en observant ce qui se passe sur scène, du générique de la célèbre série « Game of Thrones » à des morceaux de blues.

Concept intéressant bien qu’un peu compliqué à suivre, le DH2 a réussi lors de cette soirée à mêler fantasy et mélodrame dans un joyeux bazar parfois décousu qui s’est hélas terminé avec une scène difficilement compréhensible …mais très drôle.

20 avril 2015


20 avril 2015

Macbeth et The Forest of Athens : Shakespeare au Fécule

© Fécule 2015

En matière de théâtre, il semblerait que seules deux choses soient indépassables: la dichotomie entre tragédie et comédie, qui n’a guère été que reformulée au travers des siècles – et Shakespeare. C’est en tout cas ce que semble confirmer le Fécule (Festival des cultures universitaires), et en particulier les toujours féconds étudiants-comédiens en langue et littérature anglaise, à travers deux pièces magistrales – Macbeth et The Forest of Athens.

La très sorcièresque Florence Rivero (elle s’est en effet gardé sans doute le rôle le plus jouissif) a ainsi pu mettre en scène un Macbeth inventif et efficace, qui aura catharsisé les passions les plus infâmes, tandis qu’Elizabeth Leemann aura fait rire aux larmes les plus sceptiques des spectateurs avec The Forest of Athens, une comédie originale shakespearo-pop.

On ne présente bien entendu plus Macbeth, tant le personnage éponyme, son épouse machiavélique au moins aussi célèbre que lui et leur sanglante accession au trône font partie de l’imaginaire tragique occidental. Le parti pris assumé, visible, comme souvent avec les longues pièces shakespeariennes, dans le choix des scènes coupées, de se focaliser sur Lord et non sur Lady Macbeth permet d’épurer l’intrigue, de dédiaboliser une figure féminine rendue généralement coupable de tous les maux et de mettre en exergue la folie du anti-héros, avec une jubilation non contenue. Le décor sobre à l’avant-scène (du mobilier pour représenter à gauche une salle à manger, lieu des scènes de groupe, et à droite une espace plus intime, où se déroulent les face-à-face) est contrasté par un imposant trône en arrière-plan peut-être sous-utilisé mais qui figure dès les premiers instants l’enjeu de la pièce, soit la volonté maladive d’accéder au pouvoir, comme si l’issue était contenue dans la situation initiale – comme une tragédie, quoi.

Ce décor très classique est alors peu à peu déstructuré, à l’image de l’occupant des lieux, un Macbeth légèrement surjoué par Raphaël Meyer mais qui convainc rapidement, démolissant les objets tangibles à défaut de pouvoir détruire les fantômes qui le hantent. L’interaction entre visible et invisible (voix off lugubres, masques apposés sur le visage de convives réels pour faire vivre l’hallucination, sorcière au singulier, la distribution ne permettant probablement pas d’en avoir trois, mais quelle sorcière!) est inventive et crédible, de même que les scènes de violence, qui laissent transpirer une atmosphère ambiguë. En effet, la superposition de scènes de cour réalistes et d’interludes inquiétants nous laisse cette sensation bien connue, lorsqu’un malheur survient, quand le réel ne s’accorde pas aux faits, se plaît à contredire le drame par son immuabilité. C’est pourquoi Macbeth tente de briser ce qui est pour éviter d’affronter ce qui a été, jusqu’à un final où la folie quasi-comique offre la seule issue possible à telle schizophrénie. La mort subséquente n’est ensuite qu’anecdotique.

Changement radical de tonalité pour The Forest of Athens, qui résonne pourtant très bien avec la pièce précédente. C’est que cette comédie proposée en exclusivité à la Grange de Dorigny bâtit son intrigue, ses personnages et ses ressorts humoristiques sur le modèle shakespearien. La pièce s’ouvre ainsi sur une scène inaugurale de losers alcoolisés atemporels servis par une barmaid tout aussi désabusée. L’échappatoire au réel déceptif est cette fois le moteur du début de l’intrigue, non pas de son terme, et lance l’aventure. Cette dernière a pour cadre une forêt éminemment shakespearienne, dans laquelle créatures fantastiques côtoient clowns ou magiciens ratés en un pot-pourri d’As You Like ItA Midsummer Night’s Dream ou même Macbeth, les terribles sorcières devenant élèves potaches. Les gags s’enchaînent en saynètes entrecoupées par de trop longs noirs, les références à la pop culture sont parfois lourdes mais le tout fonctionne et contribue à remuer le terreau élisabéthain. Une véritable intrigue est maintenue malgré le découpage, une quête pseudo-héroïque et burlesque qui captive le spectateur. Le jeu sur les différents types de comique, l’inversion des genres comme motif humoristique et narratif, les quiproquos en chaîne se révèlent véritablement intemporels. Ce qui semblait a priori une entreprise trop ambitieuse et risquant le mauvais goût – comment marier de grandes pièces et de la comédie musicale sans risque? – impressionne par la simplicité des mécanismes apparents et la richesse de l’intertexte avec l’univers shakespearien.

Les deux metteuses en scène ont en somme su transcender les nombreuses contraintes financières, matérielles et distributives pour offrir de véritables œuvres à un public qui était simplement venu voir des pièces. Rarement le barde de Stratford aura trouvé une meilleure utilisation de son matériau initial et du potentiel de troupes pourtant amatrices et circonstancielles. On a déjà hâte de les retrouver en 2016, pour autant qu’elles se produisent à nouveau – As They Like It.

20 avril 2015


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