par Nicolas Joray
Le jour où j’ai tué un chat / de Laetitia Barras / du 22 au 24 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux (épisode 3) / de Noëlle Renaude / mise en scène François Gremaud / du 22 au 31 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Zazous Zaz / de Maud Heinzer, Jonas Marmy et Fabienne Barras / du 22 au 24 mai 2015 / Théâtre des Osses (Festival Le Printemps Des Compagnies) / plus d’infos
Restobar, Studio, Atelier de construction : le festival qui se tient au Théâtre des Osses se targue d’investir « tous les lieux possibles » du centre dramatique fribourgeois. En ce dimanche, les lieux semblent programmatiques des spectacles qui s’y déroulent. Au menu : spectacle musical divertissant, épisode hilarant, agencement de listes épatant.
Lumière tamisée. Il est vingt-trois heures vingt et la soirée touche à sa fin dans le foyer du théâtre qui a revêtu pendant plus d’une heure des allures de music-hall. Zazous Zaz proposait un plongeon historique dans l’univers des zazous, un type qui s’est répandu, apprend-on, aux alentours des années 1940. Ses caractéristiques ? Un attrait pour ce qui swingue. Pour le jazz. Une propension à faire la fête – revendiquée comme « acte de résistance ». Le parti pris de la mise en scène est celui de la reconstitution historique : costumes de l’époque (jupes et pantalon bariolés, costards et cravates) ; chansons entraînantes, de l’époque encore (de Cab Calloway à Boris Vian en passant par Marie Bizet) ; journaux, de l’époque toujours. On salue la cohérence aboutie de ce projet – de même que la généreuse énergie des trois jeunes acteurs-chanteurs, même si on peut se demander si un tel parti pris parlera aux plus jeunes spectateurs, qui n’auraient par exemple pas les chansons en tête. De manière générale, ceux qui cherchent dans le théâtre questionnements et références issues du monde d’aujourd’hui resteront sur leur faim ; les autres savoureront sans doute la charmante nostalgie de Zazous Zaz.
Quelques heures auparavant, perché dans les hauteurs du Studio, on continuait de scruter des fragments d’existences à travers le troisième volet de Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux. Les nouveaux venus à bord de cette barque aux allures de feuilleton théâtral ont pu s’immerger dans une banalité drôle, celle des multiples personnages de cette épopée du quotidien. Pour reprendre une formule du texte de Noëlle Renaude : « je regarde le monde me passer devant ». Ceux qui suivent de manière plus assidue ce feuilleton voient leur regard s’enrichir de leurs références passées qui ressurgissent – c’est aussi l’intérêt d’une telle proposition artistique : on retrouve une femme ployant sous ses propres plaintes, délicieusement interprétée par Anne-Marie Yerly ; un autre personnage joué par Stefania Pinnelli continue d’accrocher sur un mur des photos de personnes décédées. Mais les nouveautés sont d’autant plus appréciées qu’elles apportent au feuilleton une certaine fraîcheur : les coups de poing sur la table d’un protagoniste incarné par Heidi Kipfer font sursauter de manière hilarante les autres personnages ; le spectacle est volontairement retardé par les bruitages en coulisses d’un homme de chantier en combinaison orange interprété par Anne-Marie Yerly affublée d’une moustache, vision cocasse s’il en est.
Ce chantier de l’ordinaire était précédé d’une usine poétique. En effet, le coup d’envoi fracassant de cette soirée théâtrale a été donné par le spectacle écrit et mis en scène par Laetitia Barras. C’est dans l’Atelier de construction du théâtre, improvisé pour le coup en salle de spectacle, que s’est déployé Le jour où j’ai tué un chat, une mécanique humaine bien huilée. Faisant écho aux tournevis et autres perceuses bordant le lieu, les quatre acteurs se transforment en machine à brasser journaux et mots. Place à une esthétique de la liste ! « En général, je passe assez vite d’un article à un autre quand je lis le journal », affirme un personnage. Le public, lui, est contraint de passer assez vite d’une réplique à une autre : on nous parle de faire l’amour, puis de ne pas aimer la langue de bœuf ; on passe de l’automédication à l’ingurgitation d’antidouleurs, des paires de claques aux paires de chaussures. Les fils d’actualité de Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux ne semblent pas si loin. « Est-ce qu’un jour on aura écrit tous les mots ? » En épuisant le quotidien, la Compagnie Überrunter le sublime. C’est que de l’amoncellement surgit parfois le lyrisme. En témoigne un final verbal frissonnant couplé à un morceau classique solennel : « j’aime l’odeur du café le matin », « j’aime répéter un mot jusqu’à ce qu’il n’ait plus de sens », « j’aime l’odeur de l’herbe fraîchement coupée ». L’un des personnages déclarait que l’art contemporain le laissait parfois perplexe. Cette forme de théâtre contemporain laissera, elle, admiratif.
En somme, l’obscurité n’est pas venue à bout des spectateurs de cette troisième soirée du Printemps Des Compagnies. Les quelques spots braqués sur le public du troisième volet de Ma Solange transformaient à nouveau celui-ci en acteur éclairé. Et alors que les ombres des visages des spectateurs de Zazous Zaz vacillaient sous l’effet des bougies, l’assistance de Le jour où j’ai tué un chat baignait dans une resplendissante lumière diurne.