Constellation*Cendrillon
Conception et mise en scène Laurent Gachoud / Cie de l’Oranger/ les 7 et 8 mai 2015 / Equilibre-Nuithonie (Fribourg) / Critiques par Maëlle Andrey et Chantal Zumwald .
7 mai 2015
Par Maëlle Andrey
Il était une fois une thérapie

Imposant une thérapie familiale à Cendrillon, la nouvelle création de Laurent Gachoud et de la compagnie de l’Oranger revisite de façon contemporaine le célèbre conte inscrit dans nos mémoire par Perrault, les frères Grimm et Walt Disney. Elle en propose une lecture inédite, luminescente et poétique.
« Une inspiration, une expiration. Une inspiration, une expiration » répète incessamment une voix off hypnotique alors que le public prend place. Elle l’annonce : ce soir, tout le monde entre en thérapie. Au moyen d’un petit billet portant un code, chaque spectateur doit trouver sa place dans l’espace Nuithonie. Sur le sol de la scène, un immense cadre carré retient de volatiles et légères cendres noires, parsemées de paillettes scintillantes : des étoiles dans l’espace. Autour du cadre, le prince et Cendrillon progressent. Tous deux vêtus de blanc, ils se détachent de ce décor sombre. Le mur de fond est un immense écran, laissant défiler des extraits de Walt Disney. Des phrases s’y inscrivent, comme « chacun mérite sa place » et « chaque chose a sa place ». Une fois tous les spectateurs installés, la thérapie commence. C’est le prince (le dynamique Laurent Gachoud), à la fois magicien, présentateur télé, thérapeute et Dave, qui la mène. Il commence par une théorie tirée de « Wikipédia » (ce nom se projette sur l’écran) concernant les constellations familiales et leur histoire. Il s’agirait de « poser la famille dans l’espace » pour arranger certaines relations, car ascendances et descendances ont un impact sur le destin. Il invite alors huit « constellants » (les comédiens amateurs : Ana Tordera, Alain Bertschy, Marie Gili-Pierre, Charlotte Deschamps, Bérengère Steiblin, Anne-Christine Nicole Della Valle, Sandro Pires, Marian Crole-Rees, Sandra Wicky, Didier Coenegracht, Céline Frochaux et Séverine Zuffrey) à reproduire la constellation familiale de Cendrillon. Cette dernière est l’héroïne parfaite pour ce genre de thérapie : sa mère est morte, son père l’a abandonnée pour une nouvelle femme odieuse, qui donne à Cendrillon deux demi-sœurs détestables. Elle représente la jeune fille exclue, dont la place au sein de la famille recomposée est difficile à trouver. Les cendres qui jonchent le sol rappellent d’ailleurs ce que son nom fait résonner : la jeune femme se définit par l’échec et ne peut renaître…
Le projet du jeune metteur en scène fribourgeois Laurent Gachoud explore « les liens invisibles qui demeurent entre les êtres morts ou vivants, nos ancêtres et nos descendants », car il existe « une force qui sous-tend toute rencontre, toutes relations ». Epaulé par Roberto Fratini Serafide, le dramaturge de Philippe Saire, le metteur en scène souhaite montre que « la vie nous constelle ». Créée en 2004 à Lausanne, la Cie de l’Oranger a pour but de promouvoir des créations, tant théâtrales que musicales ou cinématographiques, en favorisant la collaboration entre artistes professionnels et amateurs. C’est de l’un de ces échanges, lors d’ateliers, qu’est née Constellation* Cendrillon.
Le prince dirige les étoiles que sont les constellants pour mettre en scène la vie de Cendrillon. Le parallèle avec le théâtre, jeu de rôles dans un espace fictif, est explicite. Le positionnement sur scène et les différentes énergies définissent les personnages. Entre personnalités réelles et rôles, les limites s’évaporent : « Je suis… Je sens, je, je… Il était, non… Je, heu, je, nous, tu… J’étais, je serai, je suis… Je suis Cendri… Non, heu, je suis… le Prin… Non plus… ». Cette mise en scène contemporaine joue beaucoup avec les divers montages vidéo (projections de phrases ou de mots sur l’écran, extraits du dessin animé ou gros plans sur les visages), les jeux sonores (musiques variées et bruitages) et les éclairages (entre ombre et lumière). Tous ces éléments, astucieusement combinés, donnent une vraie dynamique à la pièce. Grâce à eux, la thérapie revêt plusieurs facettes : poétique, théorique, … et dérisoire. Parfois, elle devient même inquiétante et très intense : une ambiance très noire, une voix effrayante s’adressant à Cendrillon, ou des habits volants, symboles des membres de la famille.
Ces moments étranges et disparates laisseront certains spectateurs perplexes – ceux qui se sentiront un peu perdus dans cet univers abstrait. Mais en se laissant aller, en respirant « dans le moment présent total » on profitera pleinement de cette thérapie stellaire déjantée et pleine d’humour, les 7 et 8 mai à l’Espace Nuithonie.
7 mai 2015
Par Maëlle Andrey
7 mai 2015
Par Chantal Zumwald
Cendrillon tu nais, Cendrillon tu resteras

Laurent Gachoud, prince-metteur-en-scène-thérapeute-dramaturge et géobiologue revisite, avec Constellation Cendrillon, l’illustre conte issu de la tradition orale napolitaine recueilli par Giambattista Basile au XVIe siècle et adapté ensuite par Perrault et par les frères Grimm. Défiant le temps, l’animateur de blanc vêtu tente de soulager, avec la complicité du spectateur et de Wikipedia, l’âme tourmentée d’une Cendrillon moderne qui veut se débarrasser de ses sceaux et balais, au moyen de la technique thérapeutique dite de « constellation familiale ».
Invisibles, les âmes habitent notre espace. Peut-être, parfois, émettent-elles quelque bruit, comme ces murmures qui montent dans la salle, tentant de couvrir les voix des spectateurs. Peut-être cherchent-elles à nous parler, comme avec ces mots projetés sur l’écran du fond de scène : «L’inspiration. Une expiration » : à chaque mouvement d’air, un peu d’ADN est partagé alentour. Chacun a reçu, en franchissant le seuil du théâtre, le numéro de son rôle dans ce spectacle, mais qui l’a compris d’emblée ?
Le maître des âmes sort de la pénombre en faisant crisser sous ses pas le gravier noir constellé de cailloux dorés qui scintillent sous la lumière avare d’une lueur ovale. Le morceau Ballade pour Adeline surgit, selon ses ordres, de son petit clavecin portable. Blackout provoqué par une jeune femme qui arrache les prises : renaissance d’un sphinx nommé Cendrillon ? L’animateur récite la définition wikipédienne de cette thérapie transgénérationnelle qu’est la « constellation familiale », tout en illustrant ses dires de petites figurines de terre cuite. Huit personnes, les « constellants », viennent animer ses propos et incarner, en enfilant une nouvelle paire de chaussures, les personnages du conte, ou bien rester eux-mêmes, ou un diminutif d’eux-mêmes. Stéphanie Schneider est une Cendrillon particulièrement tourmentée qui tente de déconstruire son destin malheureux. On balaie, on aspire, on balaie encore et encore : les rôles vont et viennent, les jeux de vie se font et se défont, s’interrompent, des vides s’installent. Le maître fait participer ses autres marionnettes que sont les spectateurs.
Difficile de comprendre la trajectoire du spectacle. Mais le Prince a reconnu Cendrillon à son odeur : ils ont traversé le temps… et les rôles, passés au mixer de la vie, que Cendrillon apporte sur scène. Réflexion sur la dépendance amoureuse ? « Est-ce que je suis ta source ? Tu es la source de ma vie, mon équilibre cosmique». Des aspects de la vie défilent : jalousie, pureté, destinée, colère, complaisance, chance, amour, néant. Une petite fille en robe blanche à liseré rose, seule, prend place au centre du plateau. L’écran affiche : « La petite fille attend que vous lui racontiez l’histoire de Cendrillon ». Elle attend : « Alors ? ». Tic-Tac. Cloches d’église. Perplexité dans le public. Elle sort. Sur l’écran : « Je suis. J’étais… ». Des chiffres, des codes lumineux défilent sur le pourtour de la scène : machine et mystère de la vie, de la création, de la mort. Les figurants-ombres se distinguent à peine dans la pénombre. Gros plan sur une Cendrillon moderne qu’on affuble de lunettes, de perruques… : quelle liberté pour toutes les Cendrillon ? « Fuck prince », lit-on. Le prince est assis sur une chaise, se remémore des souvenirs avec sa grand-mère. Cendrillon berce le prince accompagnée de Sinead O’Connor : « nothing compares to you …».
Le temps passe, les mêmes questions demeurent, Cendrillon n’est pas libérée, et le spectateur est perdu : en ce sens, opération réussie pour Constellation Cendrillon qui communique au public un sentiment de frustration. « Notre ombre nous court toujours après », affirme Laurent Gachoud.
7 mai 2015
Par Chantal Zumwald