par Cecilia Galindo
Julia / d’après August Strindberg / mise en scène Christiane Jatahy / du 25 au 26 mars 2015 / Théâtre Populaire Romand (la Chaux-de-Fonds) / plus d’infos
Réécriture brésilienne de Mademoiselle Julie de Strindberg, Julia raconte le rapport tumultueux et charnel entre une jeune fille blanche des beaux quartiers de Rio et un domestique noir issu des favelas. Dans cette mise en scène actuelle, Christiane Jatahy et la Cie Vertice de teatro explorent différents espaces et superposent film et théâtre. Captivant et d’une intensité rare.
A l’arrivée du public dans la salle, de grands panneaux gris pastel occupent la scène. La régie a été installée sur le plateau, côté jardin, et autour d’elle gravitent un caméraman et les deux comédiens qui joueront Julia et Jelson. Ils attendent et observent les spectateurs. Une fois ceux-ci bien installés, les lumières se tamisent et le spectacle s’ouvre sur une projection vidéo : Julia enfant, dans sa petite robe blanche, se pavane devant la caméra de papa, qui l’interpelle. Julia enfant, dans son ensemble noir, boude devant la caméra de papa et demande à ce qu’on la laisse seule. Julia est en train de grandir, et c’est en jeune adulte qu’elle apparaît ensuite à la fois sur la scène et sur l’écran. Le début d’une longue nuit s’amorce.
Julia et Jelson vivent dans la même maison depuis longtemps, mais ils ne sont pas de la même famille et encore moins du même milieu. Née avec une cuillère en argent dans la bouche pour l’une, entravé par des origines précaires pour l’autre, ces deux personnes ne devraient pas se côtoyer. Et pourtant ils se rapprochent, inévitablement. Mais entre attirance et rejet, séduction et violence, le duo devient bientôt duel.
Avec Julia, Christiane Jatahy, metteure en scène brésilienne, transpose l’intrigue de Mademoiselle Julie dans le Brésil d’aujourd’hui et rend notamment sensible aux rapports de pouvoir entre l’homme et la femme, aux différences de classes et à la question raciale qui concernent le pays. Mais elle explore aussi le genre théâtral à travers la notion d’espace, comme elle l’avait déjà fait avec la plupart de ses créations (notamment Corte Seco en 2010 et E se elas fossem par Moscou ? en 2014). Grâce à l’insertion du film, tantôt enregistré, tantôt en direct, la dimension spatiale de la pièce prend une ampleur considérable : contrairement à ce que présente la version originale, se dévoilent ici le lieu de la fête nocturne, la danse entre Julia et le domestique et leurs ébats. Le caméraman, véritable personnage, filme en direct les séquences théâtrales, permettant une vision double sur l’action, et suivra même les protagonistes jusqu’à l’extérieur du théâtre.
De cette manière hybride d’exploiter l’espace et de jouer l’histoire naît également une confusion entre le jeu et la réalité qui permet au spectateur, entre des scènes d’une forte intensité, de prendre du recul sur ce qui se déroule devant lui. La présence et la mobilité de la caméra sur le plateau, les adresses au public répétées de la part de la touchante comédienne Julia Bernat (même prénom, ça ne s’invente pas !), ou encore les moments de pause dans le jeu participent au rappel de cette division de l’instant présent, parfois réel, parfois joué.
Sous des airs de télé-réalité, ce théâtre filmé séduit et implique le public jusqu’au bout. Les comédiens, Julia Bernat (Julia), Rodrigo dos Santos (Jelson) et Tatiana Tiburcio (Cristina, en vidéo), sont d’une justesse bluffante et atteignent les sentiments de chacun. Un spectacle qui touche, marque, et donne terriblement envie de suivre le parcours de ces artistes brésiliens. A voir absolument.