Le jour où j’ai tué un chat
de Laetitia Barras / du 10 au 22 mars 2015 / Théâtre 2.21 / Critiques par Jonas Guyot et Camille Logoz
12 mars 2015
Par Jonas Guyot
Confessions entre collègues

Après Peanuts, la compagnie Überrunter revient avec un nouveau spectacle qui s’intéresse au conflit qui peut naître entre l’épanouissement de la vie personnelle et la part toujours plus grandissante de la vie professionnelle. Avec humour et poésie, les quatre protagonistes de cette fable des Temps modernes confessent leurs petits plaisirs, leurs frustrations et leurs désirs sous une forme chorégraphique et parfois hypnotique.
Quelques piles de journaux, un tabouret et deux tables forment un décor plutôt sobre dans lequel quatre personnages livrent à un rythme effréné petits plaisirs, angoisses, dégoûts et confessions de tout ordre. Nous assistons à une variante du questionnaire de Proust dont on aurait supprimé les questions pour ne laisser place qu’à des réponses du type : « je n’ai pas le permis de conduire du coup je préfère, de manière générale, être passager. » Si cette succession de petites anecdotes quotidiennes pourrait devenir très vite lassante, la compagnie Überrunter parvient à créer des enchaînement drôles et poétiques. Le spectacle s’éloigne d’une démarche égocentrique qui consisterait à dévoiler ses petits problèmes et ses grandes aspirations. Le texte est, au contraire, composé de phrases suffisamment diversifiées pour que chacun trouve chaussure à son pied. Dans un souci d’échange, la compagnie invite d’ailleurs le spectateur à inscrire, dans un petit cahier, la phrase du spectacle qu’il a préférée, et à en ajouter une autre issue de sa propre réflexion afin de la faire partager.
Le spectacle s’enrichit également d’une réflexion sur l’aliénation de l’être par le travail. En effet, cette succession de confessions, d’interrogations et de réflexions sur la vie et le quotidien s’inscrit dans une chorégraphie très précise. Le spectacle est divisé en quatre journées que nous identifions par les diverses activités de ces quatre personnages. Chaque journée de travail est précédée de la lecture assez brève du journal : météo, horoscope, gros titres. Puis dans une chorégraphie millimétrée, à la manière des Temps modernes de Charlie Chaplin, les protagonistes débutent un travail d’usine répétitif et dont la finalité demeure absurde. Un homme transmet à une femme une feuille de journal qui est ensuite tamponnée, puis déchirée, avant d’être collée avec du ruban adessif pour finalement revenir auprès de l’homme qui les empile. Tout au long de ce travail mécanique et harassant, les phrases fusent comme si la parole était le seul moyen de ne pas disparaître derrière la tâche aliénante du travail.
Les questions, les choix et les goûts que partagent ces quatre personnages sont pour eux une manière d’exister. Au fur et à mesure que les jours avancent, les pauses deviennent de moins en moins fréquentes et le travail de plus en plus désordonné. Le rythme s’essouffle et la colère monte dans la voix des personnages. La parole libérée et qui semble ne plus vouloir s’arrêter apparaît comme le grain de sable qui s’est glissé dans la machine et en menace le bon fonctionnement. Dans une société où le travail « grignote » de plus en plus notre vie personnelle, Le jour où j’ai tué un chat s’arrête sur cette relation conflictuelle en s’interrogeant sur ce qui fonde notre identité. L’un des personnages se questionne d’ailleurs dans une longue tirade sur ce qui aurait pu arriver s’il avait été un autre.
Dans une forme relativement courte (55 minutes), la compagnie Überrunter parvient à susciter la curiosité et l’intérêt, malgré un spectacle à la forme volontairement répétitive. Nous tenons également à relever le professionnalisme incroyable de ces quatre interprètes qui, même avec un public particulièrement turbulent le soir de la première, ne se sont pas laissés déstabiliser.
12 mars 2015
Par Jonas Guyot
12 mars 2015
Par Camille Logoz
A la poursuite du bonheur

La Cie Überrunter présente du 11 au 22 mars 2015 au Théâtre 2.21 de Lausanne un drôle de concert. Si le spectacle se veut un hymne aux petits plaisirs qui forment notre quotidien, le cadre dystopique où naît la parole des personnages empêche pourtant de s’abandonner complètement à ce flux d’optimisme.
Sur scène, trois femmes et un homme. Ils racontent, à tour de rôle, ce qu’ils aiment, ce qu’ils n’aiment pas, leurs habitudes, leurs craintes, leurs expériences, leurs résolutions… C’est ainsi, par ces listes et ces énumérations, qu’ils tentent de donner une définition d’eux-mêmes. Leurs monologues prennent vite la forme d’une chorale – ou plutôt d’un canon : chacun prend la parole individuellement, mais les voix s’entremêlent et forment une seule mélodie, soutenue par le rythme de leurs gestes. Alors que les personnages se mettent à effectuer un travail à la chaîne, on identifie enfin la couleur de leurs vêtements, comme celle d’un bleu de travail. Le contexte dans lequel leurs monologues prennent racine est en fait celui d’une usine.
Allant à l’encontre de cette régularité et de l’aspect cyclique du spectacle (représentant quatre journées de travail, entrecoupées par le chant du coq et la sonnerie de la pause), la prosodie évolue et varie. Il arrive que les personnages prennent de la distance, peinent à se faire entendre, gonflent leurs voix, explosent : ces crises passagères sont soit isolées – et le train-train ne tarde pas à reprendre sa place, soit générales, comme celle qui permettra d’enchaîner avec la dernière scène. Sur un air des Quatre Saisons de Vivaldi qui ne laisse pas trop de doute quand à l’intention optimiste de ce final, les personnages clament soudainement leur enthousiasme pour la vie et clôturent la représentation par une dernière liste, celle de leurs petits bonheurs.
En fin de compte, le spectacle laisse un goût mi-salé, mi-sucré. L’annonce était pourtant claire : le thème était d’« évoquer le quotidien de manière inhabituelle pour lui redonner sa part d’extraordinaire », d’« observer les richesses oubliées du train-train de tout un chacun ». Dans cette optique, l’intitulé du spectacle surprend déjà : tuer un chat, un événement usuel et routinier ? Le spectateur est partagé entre son envie de poursuivre la liste que la compagnie laisse ouverte (elle propose d’ailleurs au public de l’allonger avec ses propres phrases à inscrire dans le livre d’or à l’issue du spectacle), et celle d’échapper à ce mécanisme trop rôdé. On est entraîné par la chorégraphie endiablée des ouvriers et par l’enchaînement entêtant des répliques si bien que malgré le finale enjoué, on reste pris dans l’engrenage de l’usine d’où s’élève la parole des personnages. N’a-t-on pas voulu nous présenter, en fait de plaidoyer optimiste, une manière de fabriquer des pensées positives ? Lorsque la lumière se rallume, on n’a pas tant envie rentrer chez soi et de retrouver ses petites habitudes que de changer celles-ci radicalement. Quoique l’on puisse se montrer réticent face à l’automatisme des enchaînements, on appréciera tout de même l’énergie qui se dégage des quatre individus. À chacun de décider d’y voir un élan de résistance ou des forcenés qui se débattent avec leurs chaînes.
12 mars 2015
Par Camille Logoz