Le Chat du Rabbin
D’après la bande dessinée de Joann Sfar / Mise en scène par Sarah Marcuse / du 19 au 22 mars 2015 / Grange de Dorigny (Lausanne) / En tournée jusqu’au 18 juin 2015 / Critiques par Maëlle Andrey et Chantal Zumwald .
19 mars 2015
Par Maëlle Andrey
Donner sa langue au chat
La Compagnie La Fourmilière propose en ce moment une douce fable philosophique, humoristique et musicale adaptée de la célèbre bande dessinée Le Chat du Rabbin de Joann Sfar (première édition en 2002), déjà transposée au cinéma en long métrage d’animation par l’auteur et Antoine Delesvaux en 2011. La mise en scène colorée et épicée de Sarah Marcuse réveille tous les sens et pousse à la réflexion, à l’ouverture d’esprit et à la tolérance.
Dans le plus grand noir du Théâtre de la Grange de Dorigny retentit une musique orientale. Une faible lumière, qui croît peu à peu, laisse apparaître les sept personnages. La caravane d’hommes chargés d’objets divers pénètre sur la scène couverte de tapis orientaux. Ils prennent soudain conscience de la présence d’un public : le rythme musical s’accélère et les comédiens s’activent. L’effervescence des rues d’Alger se fait ressentir.
La configuration des six tapis décorant le sol et le placement des multiples personnages forment des séparations symboliques entre trois espaces, évoquant indéniablement les cases de l’œuvre de Sfar. A gauche : un groupe de trois remarquables musiciens orientaux (Ben Vicq, Guillaume Lagger, Marc Berman), accompagné d’un rabbin, qui n’est autre que le rabbin du rabbin (Pascal Berney). Au centre : une jeune femme aux cheveux bruns, bouclés, vêtue de rouge. C’est la fille du grand rabbin, Zlabya (Mounya Boudiaf). Elle concocte dans sa petite cuisine un plat mijoté, dont les effluves parfument la salle, transportant encore davantage le public en Afrique du Nord. A droite : un homme d’un certain âge, barbe noire parsemée de gris, assis derrière une table en bois soutenant la Torah ; devant lui, un amusant matou gris : c’est le Rabbin (Jacques Maeder) et son fabuleux chat (Xavier Loïra).
Le chat du Rabbin a trouvé l’usage de la parole depuis qu’il a avalé le perroquet de son maître. Et ce chat-là n’a pas la langue dans sa poche. Il compte bien prendre position, donner son avis, et soulever les problèmes et questions qui surgissent face à tous les dogmatismes. Le trouvant bien insolent et impertinent, le Rabbin décide d’instruire ce malicieux félin qui affirme « être un chat juif et vouloir faire sa Bar Mitzvah ». Les touchants et profonds échanges entre le chat et son maître permettent d’accéder avec humour et légèreté à la culture juive séfarade algérienne des années 1930.
La metteure en scène Sarah Marcuse (qui a de nombreuses cordes à son arc : elle est aussi comédienne, auteur et interprète) fonde en 2002 la Compagnie La Fourmilière dans le « but de produire et diffuser la création culturelle dans les domaines du Théâtre, de la Musique et du Cinéma avec toutefois un objectif bien précis : promouvoir une vision positive du monde, une fenêtre d’espoir ». Ce qu’elle parvient à faire à merveille avec cette douce adaptation du Chat du Rabbin, prônant l’ouverture d’esprit, la remise en question et la paix par la compréhension de l’autre.
Sarah et Xénia Marcuse (responsable de l’univers visuel) parviennent, dans cette mise en scène, à garder un graphisme très proche de celui de la bande dessinée originale (colorisée par Brigitte Findakly). On retrouve le célèbre chat gris, avec son long museau, ses longues oreilles dressées sur la tête, et ses yeux jaunes ; la jeune Zlebya avec son abondante chevelure brune et son vêtement rouge, etc. Sous une lumière chaude et tamisée, l’ambiance et les multiples scènes aux cadrages divers (gros plan, plan général) renvoient pourtant, plus qu’à la bande dessinée, au septième art. Tous les sens sont mis en exergue, dans une illusion plus complète que celle du cinéma, ajoutant des odeurs et permettant, tout comme la BD, de visualiser plusieurs cases dans un même espace. L’envoûtante musique et l’excellent jeu des sept comédiens (notons la remarquable gestuelle féline de Xavier Loïra) permettent au public de se sentir véritablement transporté en Algérie, dès les premières secondes de la représentation.
Un voyage visuel, musical et olfactif, pour un peu plus de tolérance, pour tout public dès 10 ans, à faire absolument jusqu’au 22 mars à la Grande de Dorigny, les 26 et 27 mars au Théâtre du Pommier de Neuchâtel, le 7 avril au Nouveau Théâtre Beaulieu de St-Etienne (F) et du 9 au 18 juin au Théâtre Alchimic de Genève.
19 mars 2015
Par Maëlle Andrey
19 mars 2015
Par Chantal Zumwald
Un chat menteur – pas tant que ça
2002 : sortie du premier album de la bande dessinée Le Chat du Rabbin par Joann Sfar ; 2004 : première adaptation théâtrale par Camille Nahum ; 2011 : sortie d’un long métrage du même titre, réalisé par l’auteur (César du meilleur film en 2012) ; 2015 : le Chat réapparaît et contribue au soutien de Charlie Hebdo : fascinée, La Cie La Foumilière s’empare du scénario. Sarah Marcuse, en collaboration avec Radhia Chapot Habbes, le met en scène. Xénia Marcuse participe à l’adaptation et se charge des costumes, dans un décor de Nicolas Deslis.
De la pénombre de la scène, un nouveau monde se fait jour. Apparaît une carriole surmontée de quelques objets hétéroclites, de la cuisinière aux tabourets, accompagnée d’un cortège étrange de personnages au style bohème. De leurs instruments de musique, s’échappent des accords exotiques qui entraînent dans un autre temps, un autre lieu. Ce petit cortège aux tons insolites décharge prestement la carriole et met discrètement le décor en place. Aux petits bonnets ronds que certains portent, nous comprenons qu’ils sont de confession juive. Une famille composée du père, un rabbin, de sa séduisante fille et d’un drôle de chat se met à débattre sur ce perroquet qui ne cesse de bavarder et de répéter la fin des phrases prononcées. Le chat trouve la solution : il avale l’animal ! Nous le comprenons aux quelques plumes vertes qui tombent du ciel, sur la scène. Surprise ! L’intelligible langage hante maintenant le chat malicieux et cajoleur, magnifiquement interprété Xavier Loïra. Riche de cet attribut, il prie son maître, le rabbin, de lui permettre de participer à la célébration de la Bar Mitsvah. La demande est refusée, mais son maître accepte, après quelques conciliabules, de l’instruire à la thora, à condition qu’il n’adresse plus la parole à sa fille. Le chat usera de subterfuges, avec l’aide de sa maîtresse Zlabya, et bravera cet interdit.
Dans un décor évocateur, simple et très bien structuré, la mise en scène captive immédiatement par la présence conjointe de trois espaces distincts sur la scène, où se déroulent les épisodes successifs. La lumière, discrète, suit parfaitement ces jeux de scène, entraînant le spectateur dans ses mouvements. Les odeurs ne sont pas absentes et le spectateur en a l’eau à la bouche, les narines qui frémissent sous les effluves d’oignons grillés, puis du parfum de cônes d’encens. Les chants et les danses de Zlabya ravissent par leur spontanéité et leur charme. Le chat séduit lui, par sa grâce et ses réflexions philosophiques dont la pièce est truffée. De grandes questions philosophiques sont abordées sans en avoir l’air. Aplanir toutes les différenciations religieuses, c’est là une des motivations de Joann Sfar, comme il le dit lui-même : « J’adore les Arabes, les Juifs, mais la religion, ça m’emmerde. » Le Chat Rabbin, c’est un grand moment de ravissement, de forte intensité, pour tous les sens.
19 mars 2015
Par Chantal Zumwald