par Sabrina Roh
Une Femme / de Philippe Myniana / mise en scène Marcial Di Fonzo Bo / du 3 au 7 mars 2015 / Comédie de Genève / plus d’infos
Les fantômes du passé ressurgissent à la Comédie de Genève. Jusqu’au 7 mars 2015, Marcial Di Fonzo Bo y présente sa mise en scène d’Une Femme, texte écrit par Philippe Myniana. Un voyage oppressant à travers les souvenirs, dont la mise en scène excessive peine à rendre justice à une écriture pourtant subtilement tendue entre langage quotidien et poétique.
Une Femme, c’est tout d’abord l’histoire d’une collaboration. Un texte collectif écrit par Philippe Myniana pour le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo et la comédienne Catherine Hiegel. Un processus vivant qui, au stade même de l’écriture, interroge le langage théâtral. Au cœur d’une épopée intime, Elisabeth, incarnée par Catherine Hiegel, est proche de la fin de sa vie. Avant d’entamer le grand voyage, elle déambule de chambre en chambre, à la rencontre de ses souvenirs : son père, une amie, son mari, ses enfants… Certains sont morts tandis que d’autres se sont tout simplement éloignés. Mais les souvenirs restent et la hantent. Intransigeants, ils donnent une image violente (et peu ragoûtante) de la réalité.
Dans cette allégorie de la fin, où la femme se fait la représentante de l’Humanité, l’espace intime qu’est la chambre est peu à peu envahi par la forêt. Une invasion progressive de grands arbres. Sur scène, ils donnent le vertige et semblent comprimer la liberté de mouvement d’Elisabeth. Mais c’est finalement vers cette forêt qu’elle s’en ira, pour échapper à ce qui l’oppresse réellement : les fantômes de ses souvenirs. Elle se confronte à nouveau aux conflits familiaux, à l’amour blessant, à la perte et au deuil. Les épisodes de sa vie ne nous épargnent pas, comme cette scène où Elisabeth veille son père au corps décharné et rongé par la sénilité. « Salope », « peau de vache », crie-t-il en se traînant par terre et en crachant ses poumons. Il y a quelque chose de dérangeant dans cette représentation crue de la vie. Cette intensité se justifie-t-elle par le fait qu’Une Femme, aux allures de conte cruel, pointe du doigt la réalité, aussi dure soit-elle? C’est la vie. C’est la mort. Et selon Philippe Myniana, « la mort, c’est la vie ».
Certes. Mais les répliques criées, qui nourrissent cette ambiance oppressante, ne servent pas l’écriture théâtrale, que cela soit au niveau du fond ou de la forme. Agressif, ce ton fait du vieillard sénile et des enfants têtes à claques des stéréotypes, détournant ainsi l’attention du spectateur de l’histoire. On voit mais on n’écoute pas. Or selon Philippe Myniana, « c’est le son qui doit faire sens ». Le son doit aussi rendre compte de l’écriture dans sa matérialité. Ici, il se fait trop strident pour rendre hommage à la particularité du texte qui se situe entre récit d’une action, action elle-même et aparté. Et c’est justement cette rupture des styles qui fait la véritable force d’Une Femme. De ce point de vue là, on saluera toutefois la performance de la grande Catherine Hiegel. Elle a su trouver les intonations pour exprimer le sens et la musicalité du texte qui, tout en s’inspirant des conversations ordinaires, crée une tension entre réalité et théâtralité. Un univers langagier à la Jon Fosse que l’on aurait aimé ressentir un peu plus dans l’ensemble du spectacle et qui aurait tranché avec le décor féérique d’Yves Bernard.