par Deborah Strebel
Vernissage / de Václav Havel / mise en scène Matthias Urban / du 26 février au 7 mars 2015 / Grange de Dorigny / en tournée jusqu’au 28 mars 2015
Présenté par la Compagnie Générale de Théâtre (CGT), Vernissage démontre que les amis ne nous veulent pas forcément que du bien. Ce spectacle drôle et oppressant à la fois, aux tonalités eighties, clôt brillamment les trois saisons de résidence du metteur en scène Matthias Urban à la Grange de Dorigny.
Un homme et une femme enchaînent, face au public, d’un air très sérieux et concentré, une série d’exercices de yoga, sur une musique « électro-vintage », rappelant les expérimentations de groupes comme Kraftwerk ou encore Yello dans les années 1980. Ils sont interrompus par l’arrivée de Ferdinand. Véra et Michael l’ont effectivement convié à célébrer leur nouvel aménagement intérieur.
Epuré, dominé par un éblouissant blanc immaculé, cet espace aseptisé n’est muni que de trois cubes à roulettes recouverts de fourrures ainsi qu’au centre, d’un juxebox rectangulaire, dont l’écran laisse apparaître, à chaque lancement de titre, des formes multicolores en mouvement, comme les carrés fluos du jeu Tetris. Tout autour, de fins fils verticaux blancs délimitent ce salon en demi-cercle. Tendus, ils vibrent après chaque passage, telles les cordes d’une harpe. Bien qu’étroits et de couleur claire, ils font échos aux barreaux d’une prison. Pertinent choix de scénographie qui souligne l’isolement du couple dans une cage dorée.
Après s’être vantés de leurs biens matériels, Véra et Michael louent l’intelligence précoce de leur enfant et ne cessent de se glorifier l’un et l’autre dans une spirale d’auto-congratulations dont le but est d’imposer leur propre vision du bonheur à Ferdinand, qui d’ailleurs ne paraît absolument pas partager les mêmes aspirations snobs et luxueuses. La soirée fait surgir un florilège de situations embarrassantes pour Ferdinand. Pris au piège, il ne parvient pas à échapper à ce duo parvenu et donneur de leçon. Il écoute en silence leurs nombreuses remarques acerbes, et ceci qu’elles portent sur sa vie amoureuse ou sur sa profession.
Cette résistance passive n’est pas sans rappeler la révolution de velours qui s’est déroulée en Tchécoslovaquie du 16 novembre au 29 décembre 1989 et à laquelle l’auteur de la pièce, Václav Havel a activement participé. Vernissage fait partie d’un triptyque rédigé quelques années plus tôt, entre 1975 et 1978, qui lui avait valu d’être condamné pour délit d’opinion. Matthias Urban offre une actualisation brillamment réussie de la pièce, notamment par le choix d’un décor futuriste mais aussi grâce à la scène initiale chorégraphiant les mouvements de yoga, pratique particulièrement à la mode en ce moment. Le thème de la résidence du metteur en scène à La Grange de Dorigny était la surveillance, le contrôle de l’individu au sein d’une collectivité. Déjà traité dans deux spectacles (« 1984 » en 2012, « La Plante verte » en 2014), il est ici décliné dans la sphère privée. Les proches peuvent également exercer de fortes pressions psychologiques : c’est précisément ce qui est montré dans la pièce. Véra et Michael inondent leur hôte d’une pluie d’acides remontrances portée par une logique comparative et qui se révèle, finalement, dénigrante. En résulte une farce grinçante montrant la vanité du projet de contraindre un individu à un certain mode de vie, le tout dans une atmosphère pop et branchée.