par Jehanne Denogent
Les Histoires d’A-Andromaque / d’après Jean Racine / mise en scène Alexandre Doublet / Théâtre Les Halles (Sierre) / du 3 au 7 mars 2015 / plus d’infos / en tournée jusqu’au 15 mars 2015
Dans Les Histoires d’A-Andromaque, Alexandre Doublet fait revivre les vers de Racine dans toute leur force tragique. Après l’Arsenic et le Théâtre de Vevey, c’est aux Halles de Sierre qu’il dépose son décor whitecube pour une Andromaque brute et classique.
Les histoires d’A
Les histoires d’amour
Les histoires d’amour finissent mal
Les histoires d’amour finissent mal en général
Et ce n’est surement pas Oreste qui le démentira : Oreste amoureux de Hermione qui ne lui accorde son attention que lorsqu’elle-même est délaissée par son amoureux Pyrrhus … qui, lui, n’en a que pour les yeux d’Andromaque, prisonnière de guerre troyenne. Quant à Andromaque, elle garde une fidélité vertueuse et fière envers son mari décédé, Hector, se dévouant pleinement à son fils Astyanax. Elle acceptera de se marier à Pyrrhus afin d’empêcher la mise à mort de Astyanax, et pour cela uniquement. Les choses sont mal faites. La pièce Andromaque de Racine pose les pièces d’un inexorable et tragique domino amoureux, qui, à son terme, ne laissera personne debout.
Les Histoires d’A-Andromaque fait directement référence au tube pop-rock des Rita Mitsouko en 1986. Selon Alexandre Doublet, il y aurait une chanson pop pour chaque pièce. Les créations du metteur en scène et de sa compagnie aiment à s’électriser de cette culture pop. Dans Il n’y a que les chansons de variété qui disent la vérité – Platonov (2008) il présentait sur ce mode le premier volet des quatre actes de Platonov de Tchekhov, et dans All Apologies – Hamlet (2014), il revisitait Shakespeare. Si l’univers des mises en scène joue avec la culture populaire, la souche, elle, est bien souvent un texte de théâtre classique. Pour sa part, Les Histoires d’A-Andromaque garde la forte empreinte de la langue de Racine, de ses alexandrins et de son rythme rigoureux. Les comédiens tiennent remarquablement ce texte difficile, précis et magistraux. A part quelques écarts assumés de ces comédiens avec leur personnage, d’un sweat à capuche et d’une scène dénudée, la direction d’acteurs reste relativement classique. Le jeu est incarné, bien souvent statique, chargé des sombres destinées.
En lieu et place de Astyanax, un groupe d’enfants. Ce sont les victimes immémoriales de querelles auxquelles ils sont, bien malgré eux, mêlés. A leur manière, ils évoquent les chœurs des tragédies classiques, comme relais de compréhension pour le public. Ils ne disposent toutefois pas des mots ou des chants et restent silencieux, témoins d’un regard contemporain sur ces déchirures. Chaque soir, en effet, un groupe d’enfants de la région est convié deux heures avant la représentation. Alexandre Doublet poursuit ainsi une recherche déjà commencée dans All Apologies – Hamlet, qui faisait intervenir un groupe d’adolescents. Après avoir reçu quelques indications, les enfants montent sur scène aux côtés des comédiens. En plus de leur rôle, ces derniers devront exploiter cette ressource, chaque soir renouvelée, chaque soir différente. L’imprévu oblige à réinventer. La proposition est alléchante. Elle laisse cependant sur sa faim, car elle se révèle dans les faits peu exploitée. Les enfants resteront passifs, laissant l’impression d’être réifiés par les indications que les comédiens leur donnent sur le plateau. On admirera toutefois leur patience exemplaire tandis qu’ils écoutent les vers pendant les 2h20 que dure la pièce.
Si Les Histoires d’A-Andromaque n’est pas aussi inventive, fraîche et surprenante que le laissait présager son original dispositif de figurants, elle se présente néanmoins comme un classique de qualité, porté par des comédiens à la présence imposante et par un texte qui reste, aujourd‘hui encore, d’une grande force.