par Maëlle Andrey
Chambre d’Amis / d’Antoine Jaccoud / par les Cies Selma 95 (CH) et Futur 3 (D) / du 10 février au 1er mars 2015 / Théâtres des Osses / plus d’infos / en tournée jusqu’au 26 avril 2015
« Les amis sont rares et précieux » avance Thomas, l’un des quatre personnages, citant Aristote. Chambre d’Amis est un projet original, bilingue franco-allemand, traitant de la grande et complexe question de l’amitié. La pièce, dont le texte a été écrit pour l’occasion par Antoine Jaccoud, est elle-même née d’une véritable amitié entre la comédienne suisse Françoise Boillat et le comédien allemand Stefan H. Kraft. Créée en Allemagne en novembre 2014, elle est le fruit d’une belle collaboration entre la compagnie colognaise Futur 3 et la compagnie vaudoise Selma 35.
Être ami. Avoir des amis. Mais à quel prix ? Qu’est-ce que l’amitié ? Est-elle essentielle dans nos vies ?
A son entrée dans la salle des Osses, le public prend place sur des chaises disposées en cercle, proches de tables basses, sur la scène. De nombreuses lampes suspendues éclairent intimement la salle. Les quatre comédiens, deux Suisses romands et deux Allemands, accueillent les spectateurs. Ils les installent, dans une ambiance familiale. Amicalement, ils leur offrent un verre de « Wein der Mosel ». Tout le monde est donc convié chez Petra (Rebecca Madita Hundt) et Thomas (Stefan H. Kraft), deux Allemands vivant à Cologne. Ce couple reçoit pour le week-end Anne-Lise (Françoise Boillat) et Jean-Pierre (Vincent Fontannaz), deux amoureux suisses romands. Les retrouvailles entre Thomas et Anne-Lise, deux vieux amis qui ne se sont pas revus depuis de longues années sont chaleureuses. A côté d’eux, Jean-Pierre et Petra sont mal à l’aise, ne se connaissant pas et ne parlant pas la même langue.
« Santé ! », « Prost ! » : le spectacle commence autour d’un grand verre de l’amitié, entre comédiens et spectateurs, en position de voyeurs. Très vite un malaise envahit la salle : le climat est lourd, pesant. Que raconter ? Que se dire ? Que partager ? Que faire ? Tout le monde souhaite que ce séjour se passe bien, mais difficile quand on ne se connaît pas… et que les divergences linguistiques accentuent les « différences ». Les multiples « Alors ? Alors ? » tentent de faire prendre la discussion… En vain. La langue est vite perçue comme un handicap, une barrière qui rend le dialogue quasi impossible, en tout cas délicat : malentendus, jeux sur le bilinguisme et les subtilités de chacune des langues et des traductions parfois ambiguës, absurdité de certaines situations où, pour se faire comprendre, on se répète, on en arrive même à mimer… Chacun, en prenant sur lui, se cache derrière un masque, derrière des mots pour donner une bonne image de lui. Et oui, après tout, tout le monde est ami ! Parler pour meubler. Parler pour ne rien dire. On se regarde. On se sourit mièvrement. Chacun de nous se revoit dans ces moments vécus, où le silence, lourd, pousse à le combler par des échanges d’une absurde profondeur… Pourtant, l’amitié, la vraie, ne se passe-t-elle pas de paroles ?
L’expression « chambre d’amis » n’existe pas dans la langue allemande, dans laquelle on parle, plus nûment, de « Gästezimmer » (chambre d’hôtes). Les Allemands n’ont-ils pas d’amis ? Ou dorment-ils simplement chez eux ? Peu importe. Petra a créé, à sa façon, « une chambre d’amis qui vient du cœur » : une tente en tissu de moustiquaire, transparente, exiguë. Le couple romand ment (en toute amitié bien sûr) affirmant que cette dernière leur plaît beaucoup. Mais une fois les deux paires séparées, les langues se délient… Les quatre murs de la chambre, qui laissent passer le moindre son, oppressent le couple suisse. Ses fines et délicates cloisons représentent également les murs de l’amitié. Une amitié très personnelle dont chacun de nous est l’architecte. Concepteur de notre « chambre d’amis », on attend d’elle ce que l’on veut. En effet, avoir des amis et être ami sont des contraintes : on se doit de cultiver ses relations pour les préserver et les faire fleurir. Thomas affirme qu’« un ami est libre, mais… » il l’est surtout s’il n’a pas d’amis. Ainsi, être seul ou avoir des amis imaginaires (comme ceux de Petra) sont les seules façons d’être vraiment libre…
A la fin de la représentation, « nous sommes tous amis » avec le doux « sentiment de se connaître depuis toujours » et le « plaisir d’être ensemble et réuni » : le public finit la soirée en communion, debout, main dans la main, autour des comédiens, dont le jeu est remarquable.
Un bon moment à partager, entre comédie et poésie, poussant à la réflexion sur les relations humaines, l’amitié, la VRAIE amitié… à l’heure où chacun de nous possède des centaines d’ « amis » sur les nombreux réseaux sociaux. Réservez votre place dans cette surprenante Chambre d’amis, jusqu’au 1er mars au Théâtre des Osses, puis, au mois d’avril à l’Arsenic.