XXY

Par Jehanne Denogent

Comme toi-même / conception et mise en scène Olivia Seigne et Alexandre Vogel / du 5 au 13 février 2015 / Théâtre Les Halles (Sierre) / plus d’infos / en tournée jusqu’au 27 février 2015

© Les Halles
© Les Halles

Etre homme. Etre femme. Se sentir homme ou femme. Olivia Seigne et Alexandre Vogel mettent en scène le destin amoureux d’un cas limite, celui d’un(e) hermaphrodite. En parler avec finesse et pudeur mais sans tabou, surtout.

« L’océan
Vaste étendue entourée d’ocres
Oscillant entre la crainte de décevoir et
l’amertume de l’espoir
Ne croyant plus en rien, comme une brume
voilée.
[…] »

Quelques vers pour exprimer un mal profond. Perle intersexe est un texte de Sunny Dagenais. Oiseau curieux, étranger parmi les femmes et les hommes, Sunny Dagenais est un intersexe, dit autrefois hermaphrodite. Les médecins l’ont opéré à la naissance et l’ont fait femme. Biologiquement argumenté, ce choix sera plus tard vécu comme source de schizophrénie d’un point de vue identitaire. Le collectif StoGramm, pour ce troisième projet intitulé Comme toi-même, part de ces mots afin de mettre en lumière un statut indéfini et incompris, celui d’une communauté intersexe méconnue et pourtant bien existante dans notre société. Andrea, joué(e) à tour de rôle par Diane Müller et Aurore Seigne, a décidé de garder l’ambivalence de son corps. Une posture inconfortable pour une société qui se rassure dans la catégorisation.

Depuis plusieurs jours, une jeune femme ne cesse de revenir au musée où Andrea travaille. La pièce s’ouvre sur leur rencontre qui donnera lieu par la suite à une belle histoire d’amour. Le thème de l’intersexualité n’apparaîtra que tard. Bien qu’extraordinaire, il ne doit être ni monstrueux ni tabou. L’hermaphrodisme est un bagage à vivre au quotidien. Le regard que choisissent de porter Olivia Seigne et Alexandre Vogel sur la question est donc infiniment moderne. Il ne cède pas au tragique que l’on trouve parfois dans les textes abordant l’intersexualité, jusqu’à parfois négliger la polémique qui l’entoure. Si la réflexion théorique sur le genre a véritablement pris son essor au 20e siècle avec Foucault ou Simone de Beauvoir, la pièce, elle, adopte un point de vue pratique. L’ambiguïté sexuelle est évoquée telle qu’elle peut être vécue, conçue, imaginée ou perçue.

Le coup de foudre est cependant contrarié par les craintes et ressentiments qu’a Andrea en lien avec son histoire. Lui reviennent certains épisodes de sa vie, décisifs ou traumatiques : le choix de ses parents de ne pas l’opérer, ses premières questions, son corps à l’adolescence, son premier baiser, son premier râteau, la rencontre avec d’autres intersexes, … L’histoire repose sur les épaules des deux comédiennes jouant à la fois le père, le garçon, l’adolescent, l’homme, la femme, sans distinction. L’enchaînement des rôles, comme des scènes, est vif, intelligent et extrêmement dynamique. Le collectif StoGramm cherche également à bousculer la disposition scénique, interrogeant « la structuration de l’espace et sa perception par le spectateur. » Deux rangées de chaises se font face, séparées par un espace scénique tout en longueur. Par cette contrainte spatiale, le jeu doit se faire mobile et souple pour ne pas faire durer les dos au public. L’espace peut évoquer celui d’un podium de défilé. L’attention aux matières, aux costumes et à la matérialité des corps crée en effet une esthétique forte. Mais ceux qui défilent sont habituellement exposés pour leur beauté. Andrea est sous les regards du fait de son étrangeté.

Aux mots de Sunny Dagenais s’ajoutent ceux de Jeffrey Eugenides dans Middlesex, ainsi que ceux d’autres sources littéraires. La recherche sur la langue est centrale. Imagée, délicate et douloureuse, elle a la flamboyance et parfois l’excessivité de la plume du poète maudit. Andrea imagine une autre vie aux gens, collectionne les moments du quotidien simples et beaux, réinvente les tableaux à chaque visite. Face à une réalité difficile, elle se réfugie dans la poésie de son imaginaire. Entre la poésie et le théâtre, le défilé et les doutes insupportables, se glissent encore quelques notes de guitares magnifiques, créant un objet artistique agréable et véritablement hybride.