Par Nicolas Joray
Blockbuster / par k7 Productions / mise en scène Tomas Gonzalez / du 10 au 15 février 2015 / Théâtre 2.21 / plus d’infos / en tournée jusqu’au 14 avril 2015
Faisant feu de divers contenus et formes issus du cinéma, l’équipe de k7 Productions donne naissance à un univers où l’ironie jaillit du mariage réussi entre rire et sérieux.
Pour son projet Blockbuster, le metteur en scène Tomas Gonzalez dit vouloir aborder « l’aventure et ses mythes, la science-fiction et ses redéfinitions de l’être humain, ou la comédie romantique et les stéréotypes de genre ». Le spectacle débute par des bruits de jungle, et nous voici plongés dans le monde de Jurassic Park. Les trois acteurs endossent les rôles de paléontologues, font face aux créatures géantes, discourent sur la vie à l’époque préhistorique. Puis vient le tour de Superman auquel succèdent, après quelques autres étapes, des répliques imbibées à l’eau de rose. Le pari de rassembler des films à large succès, que le spectateur reconnaîtra ou pas (selon son bagage d’adepte du septième art), est relevé.
Cependant, la jeune équipe ne s’en tient pas à adopter des récits provenant de blockbusters pour les plier aux conventions théâtrales. Une des qualités de ce spectacle tient au fait que Tomas Gonzalez a véritablement mis en scène un langage cinématographique. Ainsi, les différents espaces de jeu dans lesquels sont jouées les scènes de Jurassic Park sont délimités par des éclairages serrés. On assiste pour le coup à des effets de cadrage propres au cinéma : les personnages sont accrochés à une falaise (la paroi du fond) ; l’instant d’après, ils évoluent dans un laboratoire (le centre du plateau) ; finalement, ils prennent leur envol dans un hélicoptère (un espace praticable situé au-dessus des coulisses). Il s’agit donc, pour reprendre un vocabulaire cinématographique, de mouvements où ce qui était « hors-champ » (espace plongé dans l’ombre) devient « champ » (espace éclairé) quelques secondes plus tard. D’autres effets inspirés du domaine de l’audiovisuel sont également présents : la voix off d’un narrateur qui dit son rapport à Superman pendant que le héros prend diverses postures sur scène ; le suspense cultivé lorsque le noir règne dans la salle et que des basses et autres bruitages à visée réaliste annoncent l’arrivée de dinosaures ; la bande-son du spectacle qui vient appuyer les scènes à caractère solennel de morceaux aux sonorités majestueuses. En assistant à Blockbuster, on comprend à quel point les études universitaires en cinéma qu’a effectuées Tomas Gonzalez avant d’entrer à la Manufacture exercent une influence sur son travail artistique, dans lequel il parachève l’adaptation scénique des histoires cinématographiques qu’il adopte.
Mais à ces effets d’identification (principe clé du cinéma permettant notamment d’investir les registres émotionnels de la peur, de l’horreur, de la compassion) sont simultanément apposés des effets de distanciation (qui sont plutôt l’apanage de certaines esthétiques théâtrales). Ainsi, la patte de dinosaure en plastique manipulée par un comédien dans une scène catastrophe. Ou l’œuf en sagex d’un de ces animaux. Ou encore la cape de Superman : un linge de bain flottant à l’aide d’un ventilateur ordinaire posé sur le sol. De cette tension entre le sérieux des effets connotés « cinéma » et la simplicité (voire la maladresse) des effets connotés « théâtre » naît une certaine ironie dont l’aspect comique est indéniable. Le jeu des trois comédiens (Cyril Hänggi, Pauline Schneider et Tomas Gonzalez) fait brillamment écho à ce mécanisme : il est stylisé, à peine désincarné et pas tout à fait sincère : en équilibre lui aussi sur cette frontière qui sépare distanciation et identification.
En somme : un rythme varié (scènes haletantes et monologues paisibles), de nombreuses sensations (de l’angoisse au fou rire), des répliques hilarantes (« Que raconte une maman dinosaure à son petit avant qu’il ne s’endorme ? Une préhistoire ! »). Saisissant et drôle, le style de théâtre proposé par k7 Productions fait un saut par le cinéma pour mieux revenir au théâtre… et retombe sur ses pattes de tyrannosaure avec un admirable fracas !