Blockbuster
par k7 Productions / mise en scène Tomas Gonzalez / du 10 au 15 février 2015 / Théâtre 2.21 / Critiques par Cecilia Galindo et Nicolas Joray.
12 février 2015
Par Cecilia Galindo
Hollywood à petit budget, pour de grands effets

Avec son dernier projet Blockbuster, le jeune metteur en scène lausannois Tomas Gonzalez et son équipe explorent les grosses productions cinématographiques qui ont marqué les esprits. En pleine nature, dans les étoiles ou au milieu d’une grande ville, les spectateurs redécouvrent ces images connues avec un regard autre. Un condensé du cinéma drôle, frais et réjouissant.
Une fois le public installé sur les fauteuils rouges de la salle du 2.21, les lumières s’éteignent en douceur jusqu’à la nuit complète, comme dans les salles obscures. D’abord s’installe le son : des cris d’oiseaux et autres bruits de la nature sauvage créent une ambiance exotique. Puis la lumière revient et le spectacle s’ouvre sur le discours d’un paléontologue passionné, secondé de sa collègue et amie. Mais voilà que ce scientifique renommé est interrompu par l’arrivée d’un hélicoptère: le passager John Hammond, riche PDG, a besoin de leur service pour mener à bien l’ouverture d’un parc d’attractions sur son île au large du Costa Rica. Cela ne vous rappelle rien ?
Les deux experts acceptent finalement de le suivre (il faut dire que l’argument est bon pour leur porte-monnaie…) et arrivés à destination, ils découvrent la flore et surtout la faune incroyable des lieux. Bienvenue à Jurassic Park !
Si les dinosaures de Spielberg occupent une bonne partie de la représentation ? on aura droit en accéléré à la reconstitution approximative des trois volets déjà sortis ?, d’autres genres s’invitent sur scène. Présenté sous forme de tableaux, le spectacle aborde tour à tour le film d’aventure, le film de science-fiction et la comédie romantique. Le public voit alors défiler devant lui des images, connues ou revisitées, de longs-métrages qui lui sont familiers, allant de Superman à Nuits blanches à Seattle, ou d’Alien au Journal de Bridget Jones, pour ne citer qu’eux. Une succession pêle-mêle de références filmiques qui offre une manière intéressante d’aborder le cinéma grand public.
Second projet de la compagnie k7 Productions (Je m’appelle Tomas Gonzalez et nous avons 60 min, en 2012 pour Les Urbaines), Blockbuster touche, comme le spectacle précédent qui s’intéressait au karaoké, à la culture populaire ? s’amusant à se réapproprier les modèles du film de divertissement sur le ton de l’humour et la dérision. Pour amener le cinéma à la scène, Tomas Gonzalez, à la fois comédien et metteur en scène dans ce projet, opte pour un minimum de décor et d’artifices. Et la magie opère, avec trois fois rien: un grand tableau en fond de scène, que les comédiens changent à vue entre les séquences, dessine l’environnement, terrestre ou stellaire. Y défilent quelques accessoires, en particulier lors de la séquence consacrée à Jurassic Park (on retiendra notamment la scène de la cuisine, entre gelée tremblante et ustensiles), et des costumes bricolés, le tout accompagné de musique de film. Une scénographie minimale, mais qui permet avec un simple objet, mot ou costume de nous ramener à diverses scènes de cinéma déjà bien ancrées dans l’imaginaire collectif.
Dans cet espace, c’est surtout le jeu des trois comédiens (Pauline Schneider, Cyril Hänggi et Tomas Gonzalez, tous diplômés de la Manufacture en 2012) qui construit la scène. En monologue ou à plusieurs, tantôt dans un jeu exagéré, tantôt dans une confession des plus naturelles, ils parcourent les stéréotypes et les failles de ces films à succès à travers les personnages emblématiques qui leur sont associés. Certains dialogues sont repris tels quels, d’autres créés pour l’occasion, certains sont teintés d’un humour décalé, d’autres plus sérieux, certains sont dynamiques, d’autres statiques. Des nuances qui rythment le déroulement du spectacle, et mènent vers un final marquant.
On ne vous en dit pas plus, no spoiler. Cette création originale est à voir au Théâtre 2.21 jusqu’au 15 février. Ce serait dommage de la manquer.
12 février 2015
Par Cecilia Galindo
12 février 2015
Par Nicolas Joray
Du cinéma (en mieux)

Faisant feu de divers contenus et formes issus du cinéma, l’équipe de k7 Productions donne naissance à un univers où l’ironie jaillit du mariage réussi entre rire et sérieux.
Pour son projet Blockbuster, le metteur en scène Tomas Gonzalez dit vouloir aborder « l’aventure et ses mythes, la science-fiction et ses redéfinitions de l’être humain, ou la comédie romantique et les stéréotypes de genre ». Le spectacle débute par des bruits de jungle, et nous voici plongés dans le monde de Jurassic Park. Les trois acteurs endossent les rôles de paléontologues, font face aux créatures géantes, discourent sur la vie à l’époque préhistorique. Puis vient le tour de Superman auquel succèdent, après quelques autres étapes, des répliques imbibées à l’eau de rose. Le pari de rassembler des films à large succès, que le spectateur reconnaîtra ou pas (selon son bagage d’adepte du septième art), est relevé.
Cependant, la jeune équipe ne s’en tient pas à adopter des récits provenant de blockbusters pour les plier aux conventions théâtrales. Une des qualités de ce spectacle tient au fait que Tomas Gonzalez a véritablement mis en scène un langage cinématographique. Ainsi, les différents espaces de jeu dans lesquels sont jouées les scènes de Jurassic Park sont délimités par des éclairages serrés. On assiste pour le coup à des effets de cadrage propres au cinéma : les personnages sont accrochés à une falaise (la paroi du fond) ; l’instant d’après, ils évoluent dans un laboratoire (le centre du plateau) ; finalement, ils prennent leur envol dans un hélicoptère (un espace praticable situé au-dessus des coulisses). Il s’agit donc, pour reprendre un vocabulaire cinématographique, de mouvements où ce qui était « hors-champ » (espace plongé dans l’ombre) devient « champ » (espace éclairé) quelques secondes plus tard. D’autres effets inspirés du domaine de l’audiovisuel sont également présents : la voix off d’un narrateur qui dit son rapport à Superman pendant que le héros prend diverses postures sur scène ; le suspense cultivé lorsque le noir règne dans la salle et que des basses et autres bruitages à visée réaliste annoncent l’arrivée de dinosaures ; la bande-son du spectacle qui vient appuyer les scènes à caractère solennel de morceaux aux sonorités majestueuses. En assistant à Blockbuster, on comprend à quel point les études universitaires en cinéma qu’a effectuées Tomas Gonzalez avant d’entrer à la Manufacture exercent une influence sur son travail artistique, dans lequel il parachève l’adaptation scénique des histoires cinématographiques qu’il adopte.
Mais à ces effets d’identification (principe clé du cinéma permettant notamment d’investir les registres émotionnels de la peur, de l’horreur, de la compassion) sont simultanément apposés des effets de distanciation (qui sont plutôt l’apanage de certaines esthétiques théâtrales). Ainsi, la patte de dinosaure en plastique manipulée par un comédien dans une scène catastrophe. Ou l’œuf en sagex d’un de ces animaux. Ou encore la cape de Superman : un linge de bain flottant à l’aide d’un ventilateur ordinaire posé sur le sol. De cette tension entre le sérieux des effets connotés « cinéma » et la simplicité (voire la maladresse) des effets connotés « théâtre » naît une certaine ironie dont l’aspect comique est indéniable. Le jeu des trois comédiens (Cyril Hänggi, Pauline Schneider et Tomas Gonzalez) fait brillamment écho à ce mécanisme : il est stylisé, à peine désincarné et pas tout à fait sincère : en équilibre lui aussi sur cette frontière qui sépare distanciation et identification.
En somme : un rythme varié (scènes haletantes et monologues paisibles), de nombreuses sensations (de l’angoisse au fou rire), des répliques hilarantes (« Que raconte une maman dinosaure à son petit avant qu’il ne s’endorme ? Une préhistoire ! »). Saisissant et drôle, le style de théâtre proposé par k7 Productions fait un saut par le cinéma pour mieux revenir au théâtre… et retombe sur ses pattes de tyrannosaure avec un admirable fracas !
12 février 2015
Par Nicolas Joray