Par Cecilia Galindo
L’Avare de Molière / mise en scène Gianni Schneider / du 9 janvier au 1er février 2015 / Théâtre de Carouge / plus d’infos / en tournée jusqu’au 12 février 2015
Sous des airs de croisière, L’Avare de Molière dans la relecture que propose ici Gianni Schneider est transposé en pleine mer, dans un contexte qui nous est proche. Une mise en scène originale qui fonctionne et n’enlève rien au comique de la pièce.
Les rideaux s’ouvrent sur un décor maritime: sur le plateau s’érige la poupe d’un yacht, sobre et immaculée, alors qu’en fond de scène l’image du sillage à la lueur de la lune est projetée en grand écran. Au milieu de ce paysage nocturne, Harpagon observe le ciel avec sa longue-vue en marmonnant. Sur une musique de berceuse, il semble compter les étoiles avec émerveillement, un peu comme le businessman du Petit Prince faisait le compte de tous les astres avec avidité. On croit entendre les vrombissements sourds du moteur. Puis il se tourne vers le public et l’observe de la même manière, jusqu’à ce que, comme pris d’un doute, il ressente le besoin d’aller vérifier si son trésor est toujours à sa place. Alors qu’il disparaît de la scène pour rejoindre sa cabine, une musique électro et sensuelle se fait entendre ; l’image du clair de lune laisse place aux visages de deux amants qui roucoulent sous les draps. Il s’agit d’Élise et Valère, qui cachent leur passion au capitaine Harpagon.
L’ouverture de la pièce marque déjà l’opposition entre deux visions: d’un côté l’avare, homme solitaire et suspicieux, qui aime l’argent plus que ses enfants et qui n’envisage de les marier que si le contrat est financièrement avantageux. De l’autre, Élise et Cléante, soumis à l’avarice de leur père, contraints d’amener avec délicatesse l’annonce de leur bonheur amoureux respectif. Élise aime Valère, un gentilhomme déguisé en intendant, tandis que Cléante s’est épris de Mariane, dont il sait la fortune maigre. Mais les événements se gâtent lorsqu’Harpagon décide qu’Élise épousera Anselme, homme mûr et de bonne fortune, et que lui-même prendra pour femme la jeune Mariane, celle-là même que son fils convoite. Entre quiproquos et situations délicates, l’avarice d’un père mettra ainsi à rude épreuve les liens familiaux.
Après La Pierre (janvier 2014, à la Grange de Dorigny), le metteur en scène Gianni Schneider s’est porté une fois encore vers une pièce qui traite, entre autres, des relations familiales, un thème qui lui est cher. Avec L’Avare (1668), Schneider s’engage dans un travail d’actualisation, reconnaissant dans le texte des similitudes avec la société du XXIe siècle, qui selon lui est «avare dans la plupart des domaines où le thème de l’argent, bien qu’omniprésent et régulant la plupart de nos échanges, reste toutefois relativement tabou». Pour rendre plus visible cette lecture qu’il fait du texte, il choisit une esthétique sobre et contemporaine. Le décor, selon la scénographie signée Nina Wetzel, se résume à ce pont du yacht, où les personnages se dévoilent et font affaire en plein air. Pour évoquer l’extérieur, un grand écran en fond de scène diffuse l’image mouvante du ciel et de la mer, qui changera en fonction des événements. Si le choix de faire d’Harpagon le propriétaire d’un yacht, objet de luxe par excellence, peut sembler contradictoire, elle fait sens. En effet, affublé d’un petit drapeau qui représente (semble-t-il) la croix maltaise, le yacht – c’est-à-dire la maison d’Harpagon ? évoque à la fois l’évasion fiscale et la contrainte d’un luxe lié à sa situation sociale.
Le jeu des comédiens ajoute, lui aussi, une certaine modernité à la pièce. Tantôt filmés en direct dans le hors-scène, tantôt occupant la scène, les comédiens se permettent par exemple avec naturel la sensualité ou l’adresse au public et jouent avec cet effet d’immédiateté et de proximité.
Pour sa première au Théâtre de Carouge, la mise en scène de Gianni Schneider (créée à Kléber-Méleau en décembre 2014) et sa troupe ont reçu des applaudissements mérités, qui furent redoublés lorsqu’au moment des saluts est apparu sur l’écran en fond de scène un «Je suis Charlie» en grosses lettres. Une autre actualité qu’on ne pouvait nier.
À voir jusqu’au 1er février à Carouge, ou en tournée le 5 février au Théâtre Benno Besson et le 12 février au Théâtre du Crochetan.