Scrooge et les fantômes
d’après Charles Dickens / conception David Deppierraz et Laurence Iseli / mise en scène Laurence Iseli / du 3 au 31 décembre 2014 / Le Petit Théâtre / Critiques par Nicolas Joray et Noémie Desarzens.
8 décembre 2014
Par Nicolas Joray
La mécanique des valeurs

Fixées au sol sur des rouages géants, les parois du décor de Scrooge et les fantômes pivotent, apportant sur scène ou emportant en coulisses les personnages de cette fable inspirée par l’univers de Dickens. Une mécanique bien huilée au service d’une ode à la magie de Noël.
Scrooge est un vieillard qui, à force de diriger son usine d’une main de fer, est devenu aigri et avare. Voilà que Noël approche. Comme chaque année, ses employés et son neveu s’en réjouissent. Mais le patron, lui, reste de marbre. Noël, il ne veut surtout pas en entendre parler : pas de pitié pour les gens qui dorment dehors dans le froid, ils n’ont qu’à aller travailler ; pas de souper chez le neveu, Noël est un jour comme les autres. Et les biscottes sèches rempliront tout à fait la fonction de festin. Pourtant, cette année, les plans de Scrooge sont contrariés. Des fantômes surgissent et s’ingénient à transformer la morosité et la tristesse du héros grincheux en générosité et en bonheur.
En s’emparant d’un récit de Charles Dickens, les concepteurs du spectacle l’intègrent dans un dispositif scénique original et ingénieux, qui le transpose dans une ambiance industrielle de la toute fin du 19e siècle. On ne s’étonne pas, en le découvrant, que l’un des deux porteurs du projet, David Deppierraz, soit architecte. Des trappes s’ouvrent et découvrent des esprit farceurs. De gros rouages font office d’hommes de piste : ils tournent sur eux-mêmes dans une véritable danse. Le décor change comme par enchantement : voici que le bureau de Scrooge est troqué contre son lit. Des personnages surgissent au moment où les parois s’affaissent. La bande son travaillée (des bruits de vent à la musique jazzy) et l’utilisation de la vidéo (introduisant des images de flocons de neige ou de paysages urbains industriels) contribuent également à asseoir le rôle que Laurence Iseli et David Deppierraz ont voulu assigner à cet espace : celui d’une « machine à jouer ».
On regrette cependant parfois que ce registre du ludique s’efface occasionnellement derrière un discours moralisateur très (voire trop) appuyé. Car si la fable de Dickens et l’univers de Noël se prêtent à une valorisation de certains principes comme la générosité et la bienveillance, le théâtre n’est-il pas le lieu par excellence où ce type de discours peut être allégé par les ressorts du comique ? On aurait pu s’attendre – d’autant plus que le décor le permet – à ce que la mise en scène exploite jusqu’au bout les possibilités offertes par cette machinerie amusante, en effectuant quelques pas supplémentaires sur la voie du burlesque.
Cette adaptation scénique du Christmas Carol permet néanmoins d’inviter petits et grands à s’interroger sur la signification actuelle de Noël, notamment. Car si le cadre historique choisi ici est ancré dans le passé, les enjeux qui traversent le spectacle sont, eux, éminemment actuels. Et, finalement, ces enjeux dépassent la symbolique chrétienne liée à Noël. Les deux concepteurs ont en effet voulu poser une question plus essentielle : « comment vivre sa vie et être heureux ? » Scrooge, en modifiant son rapport aux autres, offre des pistes de réponses sur le plateau du Petit Théâtre.
8 décembre 2014
Par Nicolas Joray
8 décembre 2014
Par Noémie Desarzens
Conte de Noël : la magie de Dickens

Scrooge Ebenezer, une « vieille noix » aigrie par la vie, ne trouve d’autres sujets de réjouissance que ceux que lui procure son argent. A la veille de Noël, des fantômes l’entraînent dans un voyage fantastique, qui lui fait prendre conscience des dysfonctionnements dans sa vie manière de vivre. Serions-nous tous et toutes des sortes de Scrooge à l’approche des fêtes de fin d’année ? Un spectacle magique à la scénographie enchantée.
C’est bientôt Noël ! Tout le monde s’affaire dans les rues, fait les derniers achats, concocte quelque met succulent. Un vieillard aigri préfère quant à lui se confiner dans son vieil appartement, seul, comme tous les ans. Cette adaptation de Dickens plonge le public dans l’aventure fantastique de Scrooge Ebenezer (Vincent Aubert), vieil avare qui, dans cette version, se trouve à la tête d’une usine.
L’histoire commence à la veille de Noël : l’employé Bob Cratchit (Antonio Troilo) et une secrétaire (Stefania Pinnelli) font les comptes de l’usine, jetant des liasses de billets dans un sac tout en s’amusant. C’est alors qu’arrive Scrooge, qui met un terme à leur jeu. Il travaille et vit au sein de son usine, dans une grande austérité, entretenant le moins possible de contacts avec autrui. Grincheux, il refuse de partager l’esprit festif qui anime ses employés. Noël, pour lui, n’est qu’une « foutaise ». Or, cette année-là, l’esprit de son ancien associé, Jacob Marley, mort il y a sept ans déjà, lui apparaît. Trois autres fantômes se présentent ensuite à lui pour l’emmener dans un périple à travers le temps. Il y retrouve des images de ses Noëls passés, observe au présent les réjouissances de la famille Cratchit, et finalement se retrouve projeté dans un Noël futur. Ce qu’il voit dans les trois cas lui fait prendre conscience des conséquences de son avarice.
Ce spectacle est la première création jeune public de la compagnie Dahlia Production, issue en 2007 de la collaboration entre la comédienne Laurence Iseli et le scénographe David Deppierraz. Scrooge et les fantômes est une adaptation du fameux Conte de Noël de Charles Dickens, paru en 1843. Son actualisation dans un univers industriel permet de créer des liens avec notre époque, tout en gardant une certaine distance pour rester fidèle à l’histoire de Dickens. Le projet de Laurence Iseli et David Deppierraz est de sensibiliser « le jeune public à des situations de misère que nous avons parfois de la peine à concevoir en Suisse ». Au-delà de ces questions sur l’inégalité, un accent est également mis sur la question de l’épanouissement personnel.
Le décor de Scrooge et les fantômes permet d’ingénieuses entrées et sorties des personnages au sein de l’usine, qui est à la fois le lieu de travail et le domicile de Scrooge. Grâce à des rouages sur le plateau, les parois – fixées sur des socles rotatifs – peuvent tourner sur elles-mêmes, et ainsi exprimer et faciliter les changements temporels et spatiaux. Des projections recouvrent tout le plateau lors des voyages dans le temps, invitant le public à s’envoler avec les personnages au-dessus de la ville notamment. Ces survols, ainsi que la superposition de plusieurs cadrans de montres, guident aussi la compréhension du jeune public lors de ces excursions temporelles.
L’adaptation du roman vers le spectacle a entraîné la réduction du nombre de personnages. Un personnage féminin, celui de Bella Sigwick, a été ajouté pour apporter une note de romance, ce qui d’ailleurs peut apparaître un peu superflu : l’histoire originale de la nouvelle de Dickens montre que le salut de Scrooge réside avant tout dans les relations qu’il doit entretenir avec son entourage. La reconquête de sa relation passée avec Bella introduit l’idée qu’il est sauvé par l’amour, ce qui atténue l’accent mis sur la découverte de ses relations avec autrui.
On salue la remarquable fluidité des enchaînements entre les scènes, qui dynamise le déroulement de l’histoire. Cette aisance est due aux choix d’adaptation du texte et à la scénographie fantastique. Le dénouement quelque peu moralisateur de ce spectacle n’est pas dérangeant, au contraire : Scrooge et les fantômes aimerait en effet relayer auprès d’un jeune public l’idée de l’importance qu’il faut accorder aux relations humaines, qui doivent être considérées comme un partage enrichissant et généreux. Le cœur sec de Scrooge est surtout un cœur triste.
A la veille des fêtes de fin d’année, il est bon de se faire rappeler que Noël est avant tout une fête qui réunit les gens, les familles, dans le but de passer un bon moment ensemble. Indépendamment du message chrétien sous-jacent à Noël, il faudrait se rappeler que ce rassemblement festif devrait se suffire à lui-même. Sur un autre plan, la folie acheteuse qui aujourd’hui s’empare des gens ne revêt-elle pas elle aussi une allure grotesque et démesurée ?
Durant tout le mois de décembre, cette adaptation de Dickens insufflera un esprit de générosité aux jeunes (et moins jeunes) spectateurs du Petit Théâtre de Lausanne.
8 décembre 2014
Par Noémie Desarzens