Par Jehanne Denogent
My Dinner with André / tg STAN, de KOE / de et avec Damiaan De Schrijver et Peter Van den Eede / texte d’André Gregory et Wallace Shawn d’après le scénario de l’adaptation de Louis Malle (1981) / du 17 au 20 décembre 2014 / Théâtre St-Gervais / plus d’infos
Aller au restaurant ? Ou au théâtre ? Un dilemme pour le public que Tg Stan résout en combinant les deux. Les deux acteurs truculents présentent un repas exceptionnellement banal, sérieusement hilarant. A voir absolument !
En entrée, trois téléviseurs montrant l’arrivée de Wallace au restaurant où il a rendez-vous avec son ami de longue date, André. Une référence cinématographique directe au film de Louis Malle dont la pièce My dinner with André est tirée. Wallace Shawn et André Gregory en furent aussi bien les acteurs, les protagonistes que les scénaristes. Une fois arrivés sur le plateau, les deux complices s’attablent pour trois heures et demi de spectacle aussi alléchantes que tordantes. Le succès du spectacle est maintenant incontestable. Joué depuis 1998 par la troupe belge Tg Stan, d’abord en flamand, il fut traduit en 2005 en français pour notre plus grande gourmandise. Pour l’anecdote, il fallût trois mois et demi à Peter Van den Eede (André) pour en apprendre le texte en français.
Le rôle d’André représente un bon plat de consistance, c’est le moins qu’on puisse dire. Damiaan De Schrijver n’est toutefois pas en reste. Elaborer un jeu dans l’écoute et l’immobilité demande une vaste palette d’expressions, une grande subtilité aussi bien qu’une présence pleine et soutenue. L’installation scénographique réduite (mis à part, en arrière-plan, la cuisine où est préparé le repas) fait des deux comédiens les piliers du rire aussi bien que de la pièce. Les Tg Stan ne travaillant pas avec un metteur en scène, c’est le jeu qui est central. La compagnie a monté bon nombre de spectacles depuis quinze ans en refusant de se soumettre au dogmatisme d’un metteur en scène : L’avantage du doute (2005 en français), Impromptu (2005 en français), …
Entre le plat et le dessert, quelque part vers le fromage, André (ou est-ce Peter le comédien ?) reprend le script de la pièce posé sur la table pour vérifier une phrase de son texte. Intervention inimaginable dans un théâtre conventionnel mais reproduite tout au long du spectacle. Avec un plaisir et des rires non dissimulés, ils s’évertuent à brouiller la frontière entre la fiction et la réalité, entre le comédien et le personnage, entre la scène et le public. Stan, pour Stop Thinking About Names, brise(nt) les codes du théâtre et invite(nt) les spectateurs à se rendre actifs. Les rires sont communicatifs et partagés !
Au temps du dessert, la discussion se fait profonde, guidée par les embruns du vin et deux ventres bien pleins. On arrive à dépasser l’écueil du cliché par l’autodérision et réinvestir les questions premières. Faut-il aller au sommet de l’Himalaya pour vivre une expérience exceptionnelle ? L’interrogation résonne justement pour nous qui sommes venus voir deux comédiens manger. Qu’est-ce qui est digne de constituer une histoire au théâtre ? Un amour tragique ? Un triple meurtre ? C’est une scène du quotidien dont ils reprennent les détails, les tics, les habitudes et qui creuse dans la riche matière des rapports sociaux. Difficile de ne pas s’y retrouver.
L’expérience qu’offre My Dinner with André est délicieuse. Un repas gargantuesque de gloussements !