La reproductibilité du théâtre, entre répétition et différence

Par Laura Pallù

Les artistes de la contrefaçon / de Christian Geffroy Schlittler / du 10 au 14 décembre 2014 / Le Théâtre du Loup / plus d’infos

© Marie Jeanson

Les artistes de la contrefaçon est une expérimentation théâtrale qui se propose de copier et de reproduire à l’identique les scènes les plus imprégnées de pathos de la création contemporaine. On assiste donc à des extraits de Danzón de Pina Bausch et Scènes de la vie conjugale de Bergman, à une ingurgitation de lasagnes issue de J’ai acheté une pelle chez Ikea pour creuser ma tombe de Rodrigo Garcia ou encore à des scènes de Philippe Caubère et Krzysztof Warlikowski. Le plus intéressant, dans cette expérience, est moins l’effet de simulacre en lui-même que la réflexion sur le processus qui mène à la fabrication d’une scène de pathos.

Les artistes de la contrefaçon est un spectacle-conférence résultant d’un travail de recherche autour de la notion de pathos mené en 2011 au Théâtre Saint Gervais de Genève. Il s’agit de la mise en scène pratique d’un questionnement théorique : « comment crée-t-on une scène émouvante ? » C’est la question éternelle des dramaturges. Aristote, déjà, dans sa Poétique, théorisait la meilleure façon d’écrire une pièce qui provoquerait les émotions des spectateurs.

A partir de l’observation de scènes significatives tirées du théâtre, du cinéma et de la danse contemporaine, les acteurs se livrent à un effort d’empathie, un processus d’intériorisation et une prise de conscience très précise de la scène, qui rappelle la méthode de la psychotechnique de Stanislavski. Mais ici, au lieu de sentir le personnage, les acteurs de la contrefaçon doivent sentir le comédien qui joue le personnage.

Quelle signification peut avoir cet exercice ? Le metteur en scène l’affirme : « Mon travail, et celui de mon équipe artistique, ne consiste pas à devenir les gardiens de la mémoire théâtrale, bien au contraire. La réappropriation libre que nous effectuons sur l’histoire du théâtre est pour nous un acte de libération, tant dans notre pratique que dans nos idées. » C’est peut-être la réponse, à un moment de notre époque où tout a déjà été fait, tout a déjà été inventé  et tout a déjà été dit ? Comment surmonter cette problématique ? La pièce est une tentative de libération du poids de l’histoire, en imitant, en s’appropriant, pour avoir un regard plus lucide et pouvoir être plus critique envers la tradition.

Mais comment réussir encore à émouvoir quant tout a déjà été dit et fait ? Comment retrouver la passion ? Danielle Chaperon, qui a collaboré à la dramaturgie et qui a co-dirigé le projet Matériau pathos, affirme que « l’émotion naît toujours d’une rupture dans la normalité ». L’approche du metteur en scène Christian Geffroy Schlittler consiste, semble-t-il, à trouver la différence dans la répétition. Comme chez Deleuze, la différence se comprend ici en effet dans son rapport avec l’identité et la répétition : c’est là qu’elle est affirmation et acte créatif de renouveau. Le spectacle est ici un hommage aux grands créateurs scéniques contemporains, mais c’est aussi une prise de distance envers eux.