Par Lisa Tagliabue
La Seconde Surprise de l’amour / De Marivaux / mise en scène de Valentin Rossier / du 6 novembre au 9 novembre 2014 / La Grange de Dorigny / plus d’infos / en tournée jusqu’au 22 novembre 2014
Dans La Seconde Surprise de l’amour, pièce de Marivaux en trois actes et en prose représentée pour la première fois en 1727, deux personnages trop orgueilleux peinent à s’avouer clairement leurs sentiments amoureux. Valentin Rossier travaille ici avec précision la question des limites, celles des discours et celles de la scène.
La comédie de Marivaux parle d’amour, et des difficultés que l’amour peut rencontrer sur son chemin. D’un côté, il y a la Marquise, belle et jeune veuve qui pleure son mari trop vite perdu, de l’autre il y a le Chevalier, lui aussi désespéré par la perte de sa maîtresse Angélique. Tous deux de noir habillés, ils sont convaincus de ne jamais pouvoir être réconfortés. Leurs deux serviteurs, la pétillante Lisette et Lubin, le valet du Chevalier, tentent désespérément de les sortir de leur mélancolie, et de leur faire avouer leurs sentiments réciproques. Le Chevalier et la Marquise sont en effet trop orgueilleux pour admettre que ce qu’ils ressentent l’un pour l’autre est bien plus qu’un simple sentiment d’amitié.
Valentin Rossier propose une lecture très contemporaine de cette comédie du début du XVIIIe siècle. La langue de Marivaux, complexe et raffinée, notamment dans la bouche des personnages haut-placés, sort ici vive et moderne. Les discours entre la Marquise et le Chevalier se chargent d’émotions grâce au jeu de Marie Druc et de Valentin Rossier ; ils prennent vie entre leurs mains. Avec un langage moins sophistiqué que celui de leurs maîtres, Anna Pieri (la malicieuse Lisette) et Paolo Dos Santos (un Lubin en version « vacances à la plage ») donnent du peps aux dialogues. Ils créent un langage contemporain par le biais de leurs mouvements et de leurs interactions.
Mais l’aspect le plus intéressant de cette mise en scène est sans doute le sentiment d’incomplétude qui domine dans toute la pièce. Les non-dits entre la Marquise et le Chevalier, leurs sentiments non avoués, trouvent un écho dans le décor, qui est intentionnellement inachevé et indéfini : un non-lieu où tous les endroits sont possibles. Des panneaux qui rappellent des écrans de Shoji, typiques des maisons japonaises, encadrent la scène. Par terre, une espèce de matériau rouge évoque les terrains de jeu ou de tennis. Et un rideau transparent au fond, derrière lequel on aperçoit un lampadaire pompeux. Les brefs intervalles entre les actes concourent à procurer cette sensation d’indéfini. La scène est plongée dans l’obscurité, mais celle-ci n’est pas totale. On aperçoit ainsi les personnages et leurs gestes. L’impression de séparation nette et précise entre les actes n’est pas complète. Il y a un effet de continuité, une rupture inachevée entre les trois actes. Les images des actes précédents demeurent dans les suivants.
La mise en scène de Valentin Rossier est fidèle au texte de Marivaux tout en relevant d’un parti-pris contemporain, où les limites ne sont plus si clairement définies, où la séparation entre la représentation et le réel, entre la scène proprement dite et le reste du théâtre, n’est pas radicale : une pièce classique qui parvient à se détacher de l’univers strict de son auteur, le monde de Marivaux avec l’expressivité et la liberté d’un théâtre moderne.