Par Maëlle Andrey
Douze Hommes en Colère de Réginald Rose / mise en scène Julien Schmutz / Le Magnifique Théâtre / du 5 au 15 novembre 2014 / Nuithonie, Villars-sur-Glâne / plus d’infos
Quel verdict pour cet adolescent accusé du meurtre de son père ? Faut-il lui laisser la vie ? Lui donner la mort ? Son sort tient entre les mains de douze hommes, douze jurés qui confrontent leurs certitudes et leurs doutes, dans une mise en scène d’une grande intensité. Un véritable suspense psychologique sur un thème humaniste et actuel…
Le décor relève d’une esthétique contemporaine : une salle de délibération encadrée par trois parois composées de bandes plus ou moins étroites. Ces dernières dessinent de grandes lignes diagonales blanches, qui s’entremêlent, telle une imposante toile d’araignée. Ce lieu hypnotisant évoque l’étouffement, la chaleur, la proximité, l’intimité, la tension. Douze hommes vêtus de gris entrent, les uns après les autres, en annonçant leur numéro de juré. Ils s’intègrent dans la composition visuelle, évoquant la peinture américaine de la première moitié du XXe siècle : comme dans un Pollock, ces touches grises parsèment alors le fond abstrait, noir et blanc. Tous sont bien différents : âges, habillement, allures, comportements, manières, expressions. Ils entrent, se saluent, se familiarisent avec le lieu, encore ouvert sur l’extérieur. Une fois la totalité du jury présente sur scène, les bandes du décor se resserrent, enfermant ainsi les protagonistes pour lesquels plus aucune échappatoire n’est possible jusqu’à ce que soit prononcé un verdict à l’unanimité. Ce verdict concerne l’avenir du jeune garçon accusé d’avoir poignardé son père à mort. L’issue semble évidente. Cependant, contre toute attente, le juré numéro 8 souhaite revoir le dossier pour être certain de ne pas faire d’erreur en envoyant l’adolescent à la chaise électrique. Une vie est en jeu. L’humain et la recherche de la vérité sont au centre de la pièce.
Le cloisonnement spatial des jurés se révèle être pour eux un enfermement intérieur, une confrontation à soi. Tous se retrouvent, seuls, face à leurs convictions, leurs préjugés, leurs observations, leurs interprétations et leurs points de vue, relatifs à leur expérience. Les douze hommes, qui manifestent leur colère de diverses manières, souhaitent rompre l’isolement pesant et sortir de la salle. Mais c’est d’eux-mêmes, de leurs gonds, qu’ils finissent par sortir, chacun leur tour. Leurs douze personnalités se dessinent alors : l’un est imposant, un autre autoritaire, violent, sensible, introverti, réfléchi, impulsif, discret, vulgaire, comique…
Seul contre onze. Neuf contre trois. Huit contre quatre. Six à six. Egalité, puis basculement. Dix contre deux et onze contre un. Unanimité. Au fil des délibérations et des verdicts successifs, la tension monte, renforcée par les jeux de lumières, l’ambiance sonore et les vibrations du décor. Dès les prémisses de la pièce, un suspense haletant hypnotise le public. Frissons, sueurs froides, rires, réflexions et prises de positions… Le spectateur, embarqué dans une illusion proche de celle du septième art, n’a qu’une envie : se prononcer, intervenir afin de donner son propre avis sur la dramatique affaire en cours.
Le metteur en scène Julien Schmutz est fils de juriste et a entrepris des études de Droit à l’Université de Fribourg avant de se consacrer pleinement au théâtre. Il perçoit de nombreuses similitudes entre le monde de la jurisprudence et celui du théâtre, entre l’interprétation de la justice humaine et le jeu de l’acteur, notamment au niveau comportemental. Formé à l’Ecole Nationale de Théâtre du Canada à Montréal, il monte ici la pièce palpitante de Reginald Rose, Twelve angry men, écrite en 1953 et dont Sidney Lumet, quatre ans plus tard, avait fait un film culte (avec Henry Fonda). Il souhaite exprimer et démontrer sur scène que le doute légitime est humain.
L’interprétation de la troupe Le Magnifique Théâtre – active depuis 2007 entre la Suisse et le Québec – est exceptionnelle. Jean-Luc Borgeat, Bernard Escalon, Lionel Frésard, François Florey, Olivier Havran, Roger Jendly, Yves Jenny, Michel Lavoie, Olivier Périat, Guillaume Prin, Vincent Rime, Diego Todeschini et Antoine Mozer offrent au public un jeu rapide, physique et complexe. Révélant la psychologie spécifique de chacun des personnages, leur performance prend le spectateur aux tripes. Le public est, au même titre que les comédiens, enfermé dans l’atmosphère oppressante de la salle. Il semble former le quatrième mur : et on le sait, les murs ont des yeux et des oreilles…
Un grand moment théâtral à vivre absolument… à huis clos, jusqu’au 15 novembre à l’Espace Nuithonie, puis au Théâtre du Crochetan (VS), au Théâtre de Benno Besson (VD), au Bicubuc (FR) et au Théâtre du Passage (NE).