Par Deborah Strebel
Mi gran obra : un proyecto ambicioso / Projet de et par David Espinosa, du 21 au 26 octobre 2014 / Théâtre du Passage / plus d’infos
Spectacle microscopique pour expérience grandiose, Mi gran obra est un projet inédit qui invite un public restreint à se pencher sur un merveilleux théâtre miniature. A la fois ludique et poétique, cette expérience est unique.
C’est en personne que le créateur de la pièce, David Espinosa, accueille le public. Il place lui-même les spectateurs selon leur taille et surtout selon leur degré de myopie afin d’optimiser la visibilité de tous. Nous voici dans un théâtre à petite échelle. La scène est réduite à une table et les acteurs sont de minuscules figurines, les mêmes qu’utilisent les architectes pour peupler leurs maquettes. Cette scénographie particulière demande un dispositif spécifique. C’est la raison pour laquelle le nombre de spectateurs est limité à vingt personnes par représentation. Distribués sur trois rangées de chaises autour de la table, ils reçoivent chacun une paire de binocles, comme à l’opéra, pour observer avec précision ces minis comédiens qui s’animent grâce aux mains du metteur en scène. Réel démiurge, il a le pouvoir de vie et de mort sur sa troupe, pouvant à tout moment tuer n’importe qui d’une simple pichenette.
Sans paroles, mais avec des bruits d’ambiance et beaucoup de musique, dont une intéressante déclinaison électronique d’un extrait de Beethoven, le spectacle parvient à créer de nombreuses atmosphères, de l’île paradisiaque au night club et même au cimetière. En quelques minutes, il fait défiler toute une vie en superposant méticuleusement ces statuettes, à la manière d’un enfant qui dispose ses soldats de plomb pour préparer une grande bataille. Ici, il y a aussi des militaires, mais également des mariachis, des personnes âgées, des enfants, le président des Etats-Unis, des punks, des animaux, etc. En tout, plus de trois cents protagonistes apparaissent et disparaissent.
C’est en cela que le projet, comme l’indique avec humour le sous-titre, est ambitieux. L’idée initiale était d’imaginer ce qu’il serait possible de concevoir avec un budget illimité. L’artiste catalan a trouvé la solution en réduisant l’échelle de son spectacle. Ses nombreux collaborateurs et ses divers décors, composés notamment de riz, d’une plante verte, d’une canette de coca-cola, tiennent en une seule valise. Par conséquent, en plus de réaliser un considérable défi esthétique, il réussit également, en cette période de crise économique, à pallier le manque de ressources en concevant des mécanismes singuliers : en résulte un spectacle monumental à moindre coût.
L’utilisation de figurines dans des projets artistiques n’est pas réellement nouvelle. Le photographe américain Christopher Boffoli, dans sa série « Big Appetites » parue dans un livre en 2013, avait déjà employé, par exemple, de petites statues en plastique mises en scène dans des décors composés de fruits ou autres aliments. Mais l’originalité de David Espinosa réside dans le fait de réunir des spectateurs autour de sa création et de les faire participer. Chacun est effectivement libre de poser son regard sur tel ou tel détail de ce fascinant microcosme.
David Espinosa, formé à la danse contemporaine, à l’improvisation et à la capoeira en Espagne et en Belgique, a fait sensation en 2013 à la Biennale de théâtre de Venise avec cette « grande œuvre ». Depuis, le spectacle ne cesse de tourner dans toute l’Europe. Il part bientôt à Montréal et s’arrête auparavant quelques jours à Neuchâtel : ce sont les seules dates prévues en Suisse. A ne pas manquer, pour découvrir le secret de faire du monumental avec du minuscule.