Pourquoi êtes-vous pauvres ?
Création du Mumbay Quartet / conception de Mathias Glayre / du 28 octobre au 2 novembre 2014 / Théâtre 2.21 / Critiques par Deborah Strebel et Noémie Desarzens.
28 octobre 2014
Par Deborah Strebel
La pauvreté, si on en parlait ?

Mixant les genres – du stand-up à la conférence, en passant par la lecture de textes de philosophie – et provoquant le rire aussi bien que la réflexion, le projet du Mumbay Quartet interroge nos rapports à la pauvreté. Tentative de sensibilisation plus qu’éveil des consciences à proprement parler, ce spectacle propose de prendre le temps de s’intéresser à la précarité.
La soirée commence dans une atmosphère sans chichi. Au bar, un serveur s’affaire avec beaucoup d’enthousiasme à servir des bières. Avec bienveillance, il vient s’assurer à chaque table que tout le monde est à l’aise. C’est là que le spectacle s’amorce : le mur qui sépare symboliquement scène et salle s’abolit. A cet accueil succède, avec une once de nostalgie, un prologue évoquant les affaires et l’histoire de la région de Lausanne, et qui se rapproche de l’esprit du café théâtre. Micro (ou carotte) en main, les deux acteurs distraient les spectateurs en empruntant les codes du stand up, autrement dit en s’adressant directement à eux pour raconter, non sans humour, des anecdotes en rapport avec leur quotidien. Plus proche du « comedy club » que de la pièce de théâtre, le spectacle s’éloigne de la problématique que le titre semblait annoncer.
Néanmoins, cette introduction prépare discrètement à une exploration du motif de la pauvreté, en mentionnant par exemple les dealers à Lausanne ou plutôt ces « pharmaciens » qui proposent très gentiment des « médicaments » en ville tout en demandant simultanément le droit d’asile à la Confédération. Interroger nos rapports à la pauvreté, tel est en effet le projet du Mumbay Quartet. Entre compassion et indifférence, entre réaction et ignorance, entre culpabilité et apathie surgit la complexité de nos liens avec la misère. Ce spectacle en trois parties devient conférence puis jeu (avec des questions à choix multiples) ou encore emploie des projections vidéo, le tout dans un décor en carton. Emblème de la précarité, rappelant les abris que se construisent les SDF, ce matériau habite l’espace de la scène. Cachant parfois même les visages des comédiens, il leur enlève toute identité, comme les sans-abris qui plongent dans l’anonymat une fois qu’ils ont tout perdu et qu’ils se retrouvent à la rue.
L’idée de travailler autour de cette thématique est venue à Mathias Glayre, concepteur du projet, à la suite de voyages en Inde et de la lecture du livre de William T. Vollmann paru en 2008. Pour cet ouvrage, le journaliste et nouvelliste a parcouru le monde. De la Bosnie au Japon en passant par la Thaïlande, cet Américain est parti à la rencontre de personnes en proie à la pauvreté tels qu’un pêcheur au Yémen, une mendiante en Russie ou encore un SDF aux Etats-Unis. A tous, il a posé cette question : Pourquoi êtes-vous pauvres ?
En reprenant cette interrogation comme titre de son spectacle, M. Glayre a voulu questionner nos comportements face à la misère et à la détresse d’autrui, avec drôlerie, ironie et sincérité. Pour cela, il s’est entouré de Fred Mudry, qui l’accompagne sur scène, et, pour la dramaturgie, de Sebastian Aeschbach, trader et doctorant en philosophie des émotions. Cela fonctionne, même si le spectateur peut ressentir une confusion face à tant de questions et à une telle abondance de propos. Pourquoi êtes-vous pauvres ? à défaut d’éveiller les consciences, propose une sorte de sensibilisation à une problématique d’actualité. Après avoir été créé et joué en 2011 au théâtre de l’Usine à Genève et au Petithéâtre de Sion, le spectacle se poursuit à Lausanne jusqu’à dimanche, devant un public a priori déjà conquis à la cause.
28 octobre 2014
Par Deborah Strebel
28 octobre 2014
Par Noémie Desarzens
Pour ou contre la pauvreté : telle est la question ?

Comment se positionner et se comporter face à la misère et à la détresse d’autrui ? Entre humour et prise de conscience, Pourquoi êtes-vous pauvres ? tente de rendre le spectateur sensible au dilemme soulevé par cette question. Au risque de tomber dans un discours moralisateur.
« Vous avez pris des cacahuètes ? C’est bien, partagez-les avec votre voisin », conseille Fred Mudry à l’un des spectateurs. Le ton est posé d’emblée : l’attention à autrui. Lorsque nous pénétrons dans la salle du théâtre, les deux comédiens sont présents. Ils s’occupent du bar, de la billetterie et montent ensuite sur scène. Un clin d’œil à la précarité de leur propre situation professionnelle. La mise en scène de Mathias Glayre souhaite (r)éveiller la fibre altruiste de son audience. Entre humour et prise de conscience, Pourquoi êtes-vous pauvres ? oscille entre réflexion philosophique et raccourcis « bien pensants ».
Pourquoi êtes-vous pauvres ? a vu le jour en 2011 au Théâtre de l’Usine à Genève. C’est la première réalisation de Mathias Glayre en tant que metteur en scène. Ce jeune comédien lausannois, diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Lausanne (SPAD), a travaillé dans une trentaine de spectacles professionnels avant de fonder sa compagnie, le Mumbay Quartet. Le second comédien, Fred Mudry, est d’origine valaisanne et également diplômé de la SPAD. Ce spectacle s’inspire du livre de William T. Vollmann, en anglais Poor People, paru en 2007. Vollmann rassemble les enquêtes qu’il a réalisées lors de ses voyages autour du monde. Il donne la parole à ceux qui vivent dans des conditions précaires extrêmes et interroge ces personnes sur leur statut de « pauvres ». Les réponses obtenues lors de ces entretiens bouleversent et complexifient notre vision de la pauvreté. Quelques-uns de ces témoignages seront ici repris dans les dialogues entre les deux comédiens.
Sur scène, seul un écran, composé de boîtes de carton sur lesquelles sont projetés des questions ou des extraits de textes, occupe l’espace. Cette disposition frontale favorise les adresses (récurrentes) aux spectateurs. La division du spectacle en deux parties vise à une prise de conscience chez le spectateur. La première partie a recours au « stand-up », l’autre à un langage scénique qui suggère l’état de pauvreté par l’habillement ou les objets. Lors du « stand-up », un discours léger et amusant sur la ville de Lausanne permet de faire entrer le spectateur dans la problématique à travers le rire. Le discours se mue ensuite en une confrontation : notre rapport à la misère d’autrui est questionné à l’aide d’un quizz. Lorsque les deux comédiens se déshabillent partiellement et s’assoient parmi des boîtes de carton, la pauvreté devient visuellement suggérée. L’imagerie des SDF est construite par allusions. Les deux hommes mettent ensuite une boîte de carton sur leur tête et font face au public. Le visage caché, ils symbolisent l’anonymat qui affecte ces personnes qui se retrouvent à la rue. Un des comédiens traverse ensuite la scène en courbant le dos, rappelant la posture d’une autruche. Autant de métaphores et de symboles rythment cette deuxième partie et nous confrontent à notre attitude face à la pauvreté.
Le projet de Mathias Glayre d’ « activer le spectateur [et] de le [faire] sortir d’une position passive de consommateur » est cependant réalisé de manière ambivalente. Les réponses « bien-pensantes » et moralisatrices de son quizz s’imposent aux spectateurs. On frise le cliché culpabilisateur. La lecture sur scène d’un extrait de texte de Sebastian Aeschbach, dramaturge de la pièce, sauve le spectacle d’un message trop stéréotypé et stérile. L’analyse de ce doctorant en philosophie analytique, par ailleurs trader à Wall Street, permet d’approfondir ce questionnement. Problématique qui risquerait sans cela de se cantonner à des questions telles que : « E?tes-vous pour ou contre la pauvreté ? ». Mathias Glayre prétend aller plus loin que la simple discussion : « On aurait pu parler ensemble pendant deux heures, je partirais avec mes idées, vous sortiriez avec les miennes.» N’est-ce pas tout de même ce qui se passe ? Même si cette pièce n’a pas pour prétention d’offrir une réponse à ce questionnement complexe, elle suggère vivement des lignes de conduite. En bref : la pauvreté, c’est injuste et injustifiable. On le savait déjà et on n’en saura pas plus. Au mieux, ce spectacle titillera les idéaux altruistes de quelques spectateurs.
28 octobre 2014
Par Noémie Desarzens