Pour ou contre la pauvreté : telle est la question ?

Par Noémie Desarzens

Pourquoi êtes-vous pauvres ? / Création du Mumbay Quartet / conception de Mathias Glayre / du 28 octobre au 2 novembre 2014 / Théâtre 2.21 / plus d’infos

Copyright : MUMBAY QUARTET

Comment se positionner et se comporter face à la misère et à la détresse d’autrui ? Entre humour et prise de conscience, Pourquoi êtes-vous pauvres ? tente de rendre le spectateur sensible au dilemme soulevé par cette question. Au risque de tomber dans un discours moralisateur.

« Vous avez pris des cacahuètes ? C’est bien, partagez-les avec votre voisin », conseille Fred Mudry à l’un des spectateurs. Le ton est posé d’emblée : l’attention à autrui. Lorsque nous pénétrons dans la salle du théâtre, les deux comédiens sont présents. Ils s’occupent du bar, de la billetterie et montent ensuite sur scène. Un clin d’œil à la précarité de leur propre situation professionnelle. La mise en scène de Mathias Glayre souhaite (r)éveiller la fibre altruiste de son audience. Entre humour et prise de conscience, Pourquoi êtes-vous pauvres ? oscille entre réflexion philosophique et raccourcis « bien pensants ».

Pourquoi êtes-vous pauvres ? a vu le jour en 2011 au Théâtre de l’Usine à Genève. C’est la première réalisation de Mathias Glayre en tant que metteur en scène. Ce jeune comédien lausannois, diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Lausanne (SPAD), a travaillé dans une trentaine de spectacles professionnels avant de fonder sa compagnie, le Mumbay Quartet. Le second comédien, Fred Mudry, est d’origine valaisanne et également diplômé de la SPAD. Ce spectacle s’inspire du livre de William T. Vollmann, en anglais Poor People, paru en 2007. Vollmann rassemble les enquêtes qu’il a réalisées lors de ses voyages autour du monde. Il donne la parole à ceux qui vivent dans des conditions précaires extrêmes et interroge ces personnes sur leur statut de « pauvres ». Les réponses obtenues lors de ces entretiens bouleversent et complexifient notre vision de la pauvreté. Quelques-uns de ces témoignages seront ici repris dans les dialogues entre les deux comédiens.

Sur scène, seul un écran, composé de boîtes de carton sur lesquelles sont projetés des questions ou des extraits de textes, occupe l’espace. Cette disposition frontale favorise les adresses (récurrentes) aux spectateurs. La division du spectacle en deux parties vise à une prise de conscience chez le spectateur. La première partie a recours au « stand-up », l’autre à un langage scénique qui suggère l’état de pauvreté par l’habillement ou les objets. Lors du « stand-up », un discours léger et amusant sur la ville de Lausanne permet de faire entrer le spectateur dans la problématique à travers le rire. Le discours se mue ensuite en une confrontation : notre rapport à la misère d’autrui est questionné à l’aide d’un quizz. Lorsque les deux comédiens se déshabillent partiellement et s’assoient parmi des boîtes de carton, la pauvreté devient visuellement suggérée. L’imagerie des SDF est construite par allusions. Les deux hommes mettent ensuite une boîte de carton sur leur tête et font face au public. Le visage caché, ils symbolisent l’anonymat qui affecte ces personnes qui se retrouvent à la rue. Un des comédiens traverse ensuite la scène en courbant le dos, rappelant la posture d’une autruche. Autant de métaphores et de symboles rythment cette deuxième partie et nous confrontent à notre attitude face à la pauvreté.

Le projet de Mathias Glayre d’ « activer le spectateur [et] de le [faire] sortir d’une position passive de consommateur » est cependant réalisé de manière ambivalente. Les réponses « bien-pensantes » et moralisatrices de son quizz s’imposent aux spectateurs. On frise le cliché culpabilisateur. La lecture sur scène d’un extrait de texte de Sebastian Aeschbach, dramaturge de la pièce, sauve le spectacle d’un message trop stéréotypé et stérile. L’analyse de ce doctorant en philosophie analytique, par ailleurs trader à Wall Street, permet d’approfondir ce questionnement. Problématique qui risquerait sans cela de se cantonner à des questions telles que : « E?tes-vous pour ou contre la pauvreté ? ». Mathias Glayre prétend aller plus loin que la simple discussion : « On aurait pu parler ensemble pendant deux heures, je partirais avec mes idées, vous sortiriez avec les miennes.» N’est-ce pas tout de même ce qui se passe ? Même si cette pièce n’a pas pour prétention d’offrir une réponse à ce questionnement complexe, elle suggère vivement des lignes de conduite. En bref : la pauvreté, c’est injuste et injustifiable. On le savait déjà et on n’en saura pas plus. Au mieux, ce spectacle titillera les idéaux altruistes de quelques spectateurs.

 

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