Ebranler les convictions

Par Suzanne Balharry

Doute / de John Patrick Shanley / mise en scène Robert Bouvier / 26 octobre 2014 / Théâtre du Passage / plus d’infos

Copyright : Cie du Passage

Le spectacle que propose la Cie du Passage plonge le spectateur dans une bulle. La pluie tombe autour de l’école catholique du Bronx où se déploie l’intrigue. Lorsqu’elle se calme, les oiseaux poussent des cris si soutenus qu’ils en deviennent oppressants. Les rares rires des enfants sont gais mais stridents. Dans cette ambiance fermée se déroule un drame. Le Père Flynn, qui enseigne dans l’école, est soupçonné par la directrice, Sœur Aloysius, d’avoir fait des avances à l’un des élèves. Elle n’a aucune preuve tangible, mais refuse de douter de sa culpabilité.

L’auteur, J. P. Shanley, a lui aussi fréquenté une école catholique. Il s’est interrogé sur ses enseignantes, leur rapport à la hiérarchie, et l’importance qu’avait dans l’établissement la certitude d’avoir raison. Selon ses propres mots (dans une préface à la pièce) « le résultat, c’est que nous étions extrêmement vulnérables à quiconque choisissait de nous attaquer ». Sa pièce propose une autre vision du monde, dans laquelle douter n’est pas un défaut mais permet une heureuse remise en question de soi-même.

Chacun des protagonistes a son propre point de vue : c’est ce que la scénographie met en valeur. Dans une première scène, le prêtre, placé sous les projecteurs, exprime ce qu’il ressent. Puis le décor change, dans le noir. Les panneaux qui le constituent sont déployés, regroupés ou retournés pour prendre une nouvelle forme.  C’est alors le point de vue de la directrice qui surgit, d’une manière tout aussi convaincante : l’espace est celui du personnage qui parle, peu importe s’il a raison ou non. Une telle scénographie donne à chacune de ces scènes une même importance et rend impossible pour le spectateur d’établir la vérité.

Le metteur en scène Robert Bouvier ne prend pas parti face à l’intrigue ; les tensions entre les personnages ne sont donc pas déployées autant que le spectateur pourrait s’y attendre. Les répliques sont échangées sur un rythme très régulier, coupé d’hésitations qui ont pour but de mettre en valeur le sentiment de doute, l’impossibilité d’établir une vérité absolue, l’obligation d’accepter qu’il y a des choses dont personne ne peut être sûr.

Une expérience dans laquelle le spectateur hésite sur le discours à croire et éprouve comme promis, même après la pièce, ce sentiment de doute.

 

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