Par Lisa Tagliabue
Une critique du spectacle :
Nobody dies in dreamland / par la Cie Love Love Hou ! en collaboration avec la Cie Latitude45 / mise en scène Attilio Sandro Palese / Théâtre 2.21 à Lausanne / du 3 au 8 juin 2014 / plus d’infos
Nobody dies in Dreamland est une tragédie shakespearienne contemporaine sur fond de néons froids, de musique techno et de personnages compliqués et comiques à la fois. Il y a deux histoires d’amour et deux drames. Une sorte de double Roméo et Juliette du XXIe siècle. D’un côté Luca et Myriam, pauvres, en quête constante de travail et d’argent. De l’autre, Raphaël et sa femme, un couple heureux, du moins en apparence, et aisé. Deux couples aux antipodes l’un de l’autre réunis par un destin cruel qui fait tout pour les séparer.
Raphaël prononce un monologue sans fin sur ses vacances en Thaïlande, la terre du kitsch et du fake. Il raconte le bien-être du soleil, de la mer, du dolce far niente. Aussitôt, toutes ces belles paroles, ces belles images, trop belles pour être vraies, font surgir en nous une question : ne cache-t-il pas par ce discours un profond malheur ? Raphaël n’est pas la personne qu’il veut montrer. Il se sent mal dans ses baskets. Il ne cesse pas de se comparer à ses collègues, notamment à Dédé, un vieux et très cher ami d’enfance de sa femme, qui est aussi, par malheur, son supérieur. Chez sa femme, le discours est le même. Elle est attirante, en pleine forme, sûre d’elle. Mais derrière cette apparence, elle aussi cache autre chose. Elle est à la recherche continuelle de l’approbation des autres. Elle craint le jugement d’autrui plus que la vieillesse et la mort. N’est-elle pas un exemple parfait de la société actuelle ? D’une société qui n’a plus de besoins vitaux réels, mais des exigences désormais plus profondes, destructives et dangereuses, comme la volonté de paraître toujours parfaits et heureux aux yeux des autres ? Raphaël et sa femme sont le cliché du couple de cette société superficielle fondée sur l’image.
En face, Luca et sa femme. Elle, forte, grande gueule, un peu punk, un peu garçon manqué. C’est elle qui ramène l’argent à la maison. Lui, alcoolique, sans travail, toujours en train de « glander », avec un désir constant d’aider sa famille et une toute aussi constante incapacité à le faire. Cela jusqu’au jour où il s’engage dans l’armée. Luca quitte sa famille avec la volonté de devenir enfin le mari et le père qu’il n’a jamais été. C’est à partir de ce moment que les choses empirent. Elle, désormais seule, s’appuie sur un prêtre (devrait-on plutôt l’appeler un Dieu, vu les airs qu’il se donne ?). Luca est confronté au même démon-dieu que sa chère Myriam. Le couple est mis à l’épreuve. Comme les deux amanti di Verona, évoqués et incarnés explicitement, ils doivent surmonter les épreuves de la vie pour pouvoir finalement être heureux et éviter de succomber aux machinations du prêtre.
Chez Luca, ainsi que chez Raphaël, la question du destin est primordiale. Ils sont plus proches que ce qui apparaît à première vue. Tous deux tentent désespérément d’échapper au destin, à ce dessein divin, qui peut être plus cruel qu’un couteau pointé dans le dos. Ils essaient de changer les choses, de s’enfuir du rôle qui leur a été attribué. Arriveront-ils à le faire ? Ou vont-ils céder face à une force plus grande qu’eux ?
Si vous êtes intrigués par les questions profondes qui sous-tendent ce spectacle, Nobody dies in Dreamland est à voir jusqu’à dimanche 8 juin au Théâtre 2.21 à Lausanne.