Poésie d’outre-tombe

Par Deborah Strebel

Une critique du spectacle :
Modus Operandi / par la Cie Héros Fourbus / conception et mise en scène Danièle Chevrolet et José-Manuel Ruiz / Petithéâtre de Sion / du 15 au 25 mai 2014 / plus d’infos

© Michaël Abbet
© Michaël Abbet

Un médecin légiste loufoque et charmeur assisté par une énergique infirmière procèdent à une autopsie en direct. Effusion sanguine modérée, organes prélevés en quantité limitée, l’examen ne s’avère pas aussi répugnant qu’imaginé ni aussi scientifique que normalement. Peu à peu, ce n’est plus la chair qui est extraite pour être inspectée mais différents fragments de vie. La poésie prend ainsi le dessus sur le macabre pour mettre à nu toute une existence.

Au centre d’une pièce aux allures de chambre froide, un corps blême est étendu sur une table à roulette. Mais contre toute attente, l’homme respire. Son ventre se soulève au rythme de ses inspirations. Branché à une machine, il est tenu artificiellement en vie. Soudain, un homme de ménage bossu entre dans la salle et commence son travail. En dépoussiérant le matériel, il arrache maladroitement la prise de l’appareil, mettant ainsi fin aux jours du patient. Après un constat de décès en bonne et due forme commence une poétique autopsie en direct.

Plus proche d’une étrange manière de faire connaissance avec un individu lambda que d’une réelle dissection post mortem, l’autopsie n’a rien de dégoûtant. Débarrassée de toute connotation morbide, elle se révèle fantaisiste et même parfois drôle. Les instruments médicaux sont notamment remplacés par des ustensiles du quotidien. Ainsi le médecin légiste empoigne une pince à spaghetti quand il n’extrait pas les intestins à l’aide d’une simple ventouse domestique. Et surtout, ce ne sont pas uniquement des boyaux qui sont prélevés mais aussi des indices au sujet de l’existence du défunt. Petit à petit, le public découvre des images évoquant des instants vécus, des atmosphères, des sensations. Le cadavre devient une sorte de boîte à trésors de laquelle sont retirés des souvenirs qui ne nous appartiennent pas. L’analyse scientifique fait place à la découverte de l’autre.

Spectacle presque dénué de paroles : l’accent porte sur le visuel. La musique vient accompagner cette chorégraphie poético-scientifique afin de renforcer les dimensions émotionnelles. Parfois enjouée, elle aide à dessiner des sourires sur les visages des spectateurs lors des moments burlesques de dépeçage. Parfois lente et teintée de mélancolie, elle véhicule de tristes sentiments à l’évocation nostalgique de certains souvenirs. En plus de l’impact émotionnel qu’elle exerce, la musique permet de suggérer des espaces supplémentaires en diffusant différents bruits, autant d’échos retentissant au loin.

Étroite collaboration entre musiciens (Françoise et Stéphane Albelda), et créateurs (Danièle Chevrolet et José-Manuel Ruiz), cette pièce propose un univers fantasmagorique et quelque peu décalé. Créée en 1997, la compagnie Héros Fourbus s’est spécialisée dans l’élaboration et la diffusion de spectacles de marionnettes pour tout public. Dans cette nouvelle création, cette fois-ci destinée aux adultes, acteurs et marionnettes se mélangent pour créer des personnages forts et proposer non pas un examen sur les causes de la mort d’un défunt, comme le titre pourrait le laisser penser mais une enquête sur la vie d’un disparu. Le mode opératoire, proposé en cette deuxième partie du mois de mai à Sion, consiste donc en une étonnante exploration intense de morceaux choisis d’existence. A la fin de l’expérience, une seule question résonne dans les esprits : finalement pourquoi attendre nécessairement la mort d’un être pour s’intéresser à lui ?

 

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