Contes de l’érotisme ordinaire

Par Jehanne Denogent

Une critique du spectacle :
On a promis de ne pas vous toucher / à partir de Georges Bataille / mise en scène Aurélien Patouillard – Zooscope / du 9 au 19 avril 2014 au Théâtre Les Halles de Sierre / du 7 au 11 mai au Théâtre Arsenic à Lausanne / plus d’infos

© Aurélien Patouillard

En réaction au titre provocateur de la dernière création d’Aurélien Patouillard, On a promis de ne pas vous toucher, la tentation est grande d’en douter, de se prêter pourtant au jeu et de risquer de se sentir touché. Avis aux spectateurs téméraires : à essayer !

Qu’est-ce que l’érotisme ? Il demeure peut-être dans son propre mystère. Magique et fragile, il ne résiste pas longtemps aux coups que lui porte l’intelligence pour le comprendre. Dès lors, comment poser la question de l’érotisme sans qu’il ne s’étiole? Il est peut-être judicieux de le faire au théâtre, expérience qui mêle la présence des comédiens, des autres, de soi. Le succès du désir, comme celui d’une pièce, repose sur quelque chose de très simple et pourtant d’éphémère. Dans On a promis de ne pas vous toucher, dont la première a eu lieu mercredi au Théâtre Les Halles à Sierre, le metteur en scène Aurélien Patouillard suggère avec pudeur, humour et élégance les contours de la sensualité.

Sentir, effleurer, entendre son propre souffle ou celui des autres, frôler, percevoir une odeur, croiser un regard. Il n’est pas question de piquer un somme dans l’obscurité et l’anonymat du dernier rang. Parler érotisme mène peut-être simplement à sentir sa propre présence parmi celle des autres. Le spectacle est sur scène, le public aussi. Acteurs et spectateurs, chacun est installé sur une chaise à roulettes tournant à 360°. Pour ne pas risquer l’accident, il faut être attentif à ce qui se passe derrière son épaule, à droite de son genou, au niveau des orteils de son pied gauche. C’est aussi une expérience ludique que de glisser, tourbillonner, pousser (gentiment) son voisin. Autant de rires pour combattre la gêne de parler de sexualité. Le spectacle se vit ensemble, chaque soir renouvelé.

Un signe discret d’approcher, une mine timide, et l’histoire est livrée à demi-ton, simplement, savourée encore une fois. Ce ne sont pas des exploits sexuels ou des fantasmes grandiloquents mais les récits étranges du désir ordinaire, qui peut naître de mains plongées dans l’eau bénite, des déguisements amusants de deux enfants ou de l’humidité visqueuse du blanc d’œuf. Cinq acteurs, au jeu naturel et malicieux, livrent les aveux parfois ridicules mais toujours très sincères des émois du corps, dont la représentation tend à être aplanie par certains mythes. Le texte est inspiré des écrits de Georges Bataille, qui réfléchit à la possibilité de vivre librement une sexualité marginale. Cette mise en scène embrasse le délicieux grotesque qui fit scandale dans les années de parution de ces livres, sans jamais s’y complaire toutefois. Enveloppés d’une robe en boyaux ou rampant, lubriques, sur le sol, les acteurs restent toujours humbles, porteurs d’une sensualité sans artifice.

Qu’est-ce que l’érotisme ? Ce qu’on ne connaît pas encore. Ce qui se passe dans l’immédiat d’une salle, d’une ronde de chaises, dans le chuchotement d’une voix –« embrassez-moi », ou dans l’appui d’un regard. La pièce se construit par la recherche et la multiplication de pistes qui, pas toujours unifiées, laissent pourtant la certitude que l’érotisme est ce qui s’expérimente. Heureux est le spectateur : la réponse est dans ce qu’il éprouve !

 

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