Quand la commedia dell’arte et la science se rencontrent

Par Lisa Tagliabue

Une critique du spectacle :
Galilée, le mécano / de Francesco Niccolini, Marco Paolini et Michela Signori / mise en scène Charles Tordjman / Théâtre de Vidy à Lausanne / du 7 au 31 mai 2014 / plus d’infos

© Mario del Curto

Galilée, le mécano est une comédie fascinante, un monologue vif. Deux heures de spectacle qui passent en une seconde. Marco Paolini nous raconte, à sa manière, l’histoire de Galileo Galilei, le fameux scientifique italien du XVIIe siècle, mais il évoque aussi l’histoire du théâtre, de son théâtre, en Italie. Dans les mains de cet incroyable acteur-auteur-metteur en scène, la vie de Galilée devient l’objet  d’une représentation drôle et satirique.

Nous savons tous qui est Galilée, et l’importance qu’il a eue pour la science et pour la compréhension du système solaire. Certains d’entre nous ont peut-être aussi eu l’occasion de lire le célèbre ouvrage de Bertolt Brecht La Vie de Galilée, composé à la fin des années 1930. Cependant, même avec toutes ces connaissances, le Galilée de Paolini réussit à nous surprendre et à nous stupéfier.

Le comédien est seul en scène. Un piano et une étrange construction métallique en forme d’ellipse – incarne-t-elle l’univers ? – lui tiennent compagnie. Paolini est là, devant nous tous, concret et vivant. Dès les premiers moments, son habileté et sa qualité transparaissent d’une manière totale et sublime. Tout d’abord à travers sa manière de s’exprimer. Il passe du français à l’italien de manière si désinvolte et comique que même lors des répliques dans la langue de Dante, tout le monde rit. Il arrive à parler en florentin, en vénitien, à prendre un accent plus méridional, et en même temps à prononcer des phrases rapides en français, le tout sans jamais ennuyer et laisser personne indifférent. La force de Paolini et de cet extraordinaire monologue théâtral est là. Il évoque les anecdotes de la vie de Galilée, ses recherches et les problèmes qui les suivirent, il tient même un petit cours sur l’histoire de la philosophie, et cela en gardant toujours un esprit comique, propre aux plus grands comédiens dell’arte.

Son Galilée, ses inquisiteurs, ses dogi sont tous, comme lui-même le dit, des maschere. Nous aurions donc pu croire que pour réussir à faire passer des personnages si différents et même si tragiques, il aurait dû garder une distance avec eux. Mais l’aspect étonnant de cette pièce est qu’en réalité c’est l’exact contraire. Il se fond et confond, de façon absolue et magistrale, avec Galilée et les autres personnages, en conservant toujours sa théâtralité comique. Paolini et Galilée deviennent ainsi une seule personne. Galilée prend vie à travers l’acteur, et ce dernier parle de la commedia dell’arte, de son métier, à travers Galilée. Dans Galilée, le mécano, une fusion totale se produit entre science et comédie.

Cette assimilation entre science et comédie, entre acteur et personnage, n’est d’ailleurs pas la seule à avoir lieu pendant les deux heures du spectacle. Marco Paolini dialogue constamment avec le public présent. Sa manière de s’adresser au public et d’instaurer avec celui-ci des liens immédiats est stupéfiante. Dès le début, en effet, les spectateurs comprennent que ce qu’ils s’apprêtent à voir n’est pas une simple pièce de théâtre, mais plutôt une conversation avec eux, sur Galilée et son livre, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Le spectacle s’ouvre en effet par une simple sollicitation. Paolini demande à la salle de faire « une minute de révolution ». Certains se mettent donc à crier, d’autres sifflent, d’autres encore chantent Bandiera Rossa et ainsi de suite. Si Galilée, le mécano est un monologue et s’il n’y a qu’un seul acteur sur scène, les spectateurs font eux aussi partie intégrante de la pièce. Le comédien donne ainsi une nouvelle interprétation et un nouveau visage au dialogue imaginé par Galilée dans le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde. Les protagonistes ne sont plus Salviati, Simplicio et Sagredo, mais Marco Paolini et les spectateurs. La scène n’est plus uniquement l’endroit physiquement marqué comme tel, mais la globalité de la salle René Gonzalez du Théâtre de Vidy. Paolini et Galilée sont tous les deux des artistes de la commedia dell’arte, l’un à ses débuts et l’autre aujourd’hui.

Paolini invite le public à devenir une voix dans son monologue théâtral autour de la figure de Galileo Galilei. Il propose un théâtre de narration drôle et par moment satirique. Amants du théâtre, de la commedia ou passionnés par la science, Galilée, le mécano est à voir au Théâtre de Vidy jusqu’à fin mai.

 

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