De chair et de souvenirs

Par Sabrina Roh

Une critique du spectacle :
Modus Operandi / par la Cie Héros Fourbus / conception et mise en scène Danièle Chevrolet et José-Manuel Ruiz / Petithéâtre de Sion / du 15 au 25 mai 2014 / plus d’infos

© Michaël Abbet
© Michaël Abbet

La Cie Héros Fourbus propose une incursion dans le monde aseptisé de la salle d’autopsie et dans les mystères de l’être humain. Modus Operandi souligne la dure réalité de la mort en pointant la nostalgie du passé. Un spectacle poétique et émouvant, joué en ce moment au Petithéâtre à Sion.

Dans un rectangle blanc délimité par des bâches en plastique qui floutent le monde environnant, une vingtaine de spectateurs tentent de choisir la place idéale. Que va-t-il arriver, quand et de quel côté ? Rien ne l’indique. Seule gît, au milieu de la pièce, une marionnette sur un lit d’hôpital. Son torse se soulève imperceptiblement au rythme de sa respiration.

Dans Modus Operandi, le public est invité à suivre l’autopsie d’un homme. Parce que la machine qui le maintenait en vie a été débranchée malencontreusement par le concierge de l’établissement, l’alarme se met en route. Arrive alors une infirmière au comportement bipolaire : tantôt elle arrache les fils et les sondes sans grande précaution, tantôt elle caresse avec des gestes d’une extrême douceur la marionnette. Le médecin chef et elle commencent ensuite une dissection à la scie et à la pince. De l’homme mort, cependant, ne sortiront pas seulement des boyaux et autres organes, mais aussi des souvenirs. La Cie Héros Fourbus, composée de Danièle Chevrolet et José-Manuel Ruiz, propose depuis 2007 des spectacles de marionnettes tout public et d’autres pour adultes. A chaque fois, à partir de textes originaux ou d’adaptations, ils créent un univers entier. Dans Modus Operandi, parce que le public est libre de circuler dans l’espace de jeu, il choisit l’angle de vue qui lui semble idéal. Plongé dans l’inconnu qu’est cet instant du passage de la vie à la mort, il choisit la manière avec laquelle il veut appréhender le mystère de l’être humain, de son existence et de son retour à la terre. Qu’avons-nous été, sinon ce tas de chair né poussière et redevenu poussière ?

La marionnette de mousse représente, au premier abord, ce corps inerte qu’est l’être humain lorsque la machinerie qui servait à le tenir en vie s’éteint. Dans une danse burlesque, les deux représentants du monde médical malmènent le pantin. Certaines parties de leur corps, rendues saillantes par le biais d’accessoires en papier mâché, font l’effet d’excroissances et brouillent la limite entre l’animé et l’inanimé. Alors que ces éléments déshumanisent le médecin et son assistante, le tas de mousse qu’est la marionnette semble prendre vie. En effet, les comédiens Virginie Hugo, José-Manuel Ruiz et Danièle Chevrolet réussissent à lui inculquer un souffle, une attitude humaine, en particulier dans les moments où ils le manipulent avec une grande délicatesse. Ainsi, dans ses yeux immobiles et exorbités, le spectateur décèle une âme.

La marionnette se met à nu devant le public, lui donnant à voir ses souvenirs d’antan. Ce n’est pas toute sa vie qui défile devant ses yeux, mais un élément : une paire de chaussures rouges. Un détail, a priori, mais qui entraîne la mise en scène de moments clés de sa vie : des jambes affolées courant dans les airs, en direction d’une robe qui virevolte comme par magie, un Noël joyeux représenté par un sapin miniature et un jeu de marelle qui tourne court, souvenir d’enfance traumatisant. Tous ces éléments prennent vie à travers des objets de tailles variées, ce qui permet au spectateur d’adopter différentes échelles de perception.

L’émotion de ce spectacle passe non seulement par les images mais aussi par la musique. La Cie Héros Fourbus collabore depuis 2009 avec Françoise et Stéphane Albelda. Les membres du groupe Hugo, avec leurs morceaux rappelant l’univers de Yann Tiersen, entraînent les spectateurs hors de la salle au goût de métal, dans le monde des souvenirs d’enfance. Couplée à la performance du percussionniste Rafael Gunti, la musique joue aussi un rôle dans la rythmique du spectacle, mettant en relief les divers moments clés.

Une expérience poétique à vivre encore jusqu’au 25 mai au Petithéâtre à Sion.

 

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