Le bonheur mis à la question

Par Jonas Parson

Une critique du spectacle :
Paradise Now ! / Création Cie Voix Publique / Centre Pluriculturel et social d’Ouchy / du 29 avril au 11 mai 2014 / plus d’infos

Le bonheur, c’est quoi? Un gène ? Un ventre plat, des vacances à la plage, des solutions miracles comme en proposent les magazines bien-être ? Peut-on le trouver grâce aux théories philosophiques d’Aristote, Locke ou Bentham ? Ou encore à travers Jésus ou dans le travail? Dans une société où l’injonction à être heureux est omniprésente, la cie Voix Publique fait voler en éclat les stéréotypes et lieux communs qui entourent cette notion, dans un tourbillon chaotique d’énergie et de rire. Un vrai moment de bonheur (sic!) à apprécier jusqu’au 11 mai au Centre Pluriculturel d’Ouchy.

« Mon amour, mon chéri, my darling »

Affublés de perruques peroxydées sorties tout droit d’une autre époque, Vincent Bonillo et Fanny Pelichet avancent l’un vers l’autre au ralenti. L’accent anglais avec lequel ils se couvrent de mots d’amour est encore plus factice que leurs cheveux. Factices : c’est bien le point commun à toutes les formes de bonheur qui sont présentées dans ce spectacle . Avec une ironie jouissive, les lieux communs qui entourent l’idée de bonheur sont énumérés jusqu’au trop-plein, apparaissant ainsi dans toute leur futilité. Phrases toutes faites des amoureux, liste des idéaux du bonheur (attention, ceux-ci changent selon que l’on est un homme de 60 ans, une femme ou un millionnaire), déclarations qui sonnent comme des unes de magazines « wellness » : l’accumulation elle-même marque l’artificialité des éléments énumérés. Une fausseté tellement grande qu’elle semble même contaminer  le jeu des comédiens, qui ne croient visiblement plus à ce qu’ils sont en train de dire, dans un décalage ironique avec leur texte.

« John, il a ouvert la porte, mais c’est Jérémy qui fout le feu »

A la limite du théâtre de mouvement et de la performance musicale, Paradise Now ! est aussi un objet hybride par la matière utilisée. Les comédiens proposent une brève histoire des théories du bonheur, d’Aristote à Jeremy Bentham et à l’utilitarisme, en passant par John Locke. Mais ces considérations théoriques sont mises à mal par la performance d’exercices de fitness lors de leur énonciation, l’essoufflement créé par les gestes gênant la parole. La validité d’une approche utilitariste qui pose le bonheur comme l’accumulation de moments de plaisir est mise en question, mais aussi la validité d’une approche théorique, le corps reprenant ici ses droits. Plus loin, ce sont les théories génétiques sur le bonheur qui sont évoquées. Saviez-vous que c’était un gène ? Bientôt, on pourra se greffer du bonheur de chèvre, nous assure-t-on sur scène.

Mettant à profit une multitude de jeux scéniques différents, Vincent Bonillo et Fanny Pelichet créent une pièce d’une riche hétérogénéité formelle, et qui ne perd jamais son souffle. La forme vient commenter (souvent ironiquement) le propos,  comme dans ce moment où le public a droit à deux témoignages existentiels en simultané ; la découverte de la religion par l’un, les merveilles du travail en entreprise pour l’autre. Racontées en même temps, ces deux histoires se répondent, créant des interférences qui renforcent le sentiment de faux qui s’en dégage.

Un bonheur possible ?

Sans jamais poser de jugement, ni faire de morale, le tableau que nous offre la cie Voix Publique n’est pas très réjouissant. Quel paradis, quel bonheur, quand tout ce qui touche au discours sur le bonheur n’est que stéréotypes et lieux communs ? S’enfoncer dans son travail – malgré les néons qui gênent, s’abrutir devant Jésus ne semblent pas être des solutions non plus. Constat sans complaisance qui ne se voile pas la face sur l’état du monde aujourd’hui. Mais malgré ces conclusions désillusionnées, une lueur d’espoir est rallumée. La pièce se clôt sur le témoignage du fils de 7 ans de Vincent Bonillo, enregistré sur son téléphone : « le bonheur, c’est quand on s’est bien amusé, bien dépensé, et qu’il n’y a pas eu de bagarres ». Un bonheur non factice serait donc possible ? Tout ce que l’on peut dire c’est que vous trouverez du bonheur au Centre pluriculturel d’Ouchy, et ce jusqu’au 11 mai.

 

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