Par Deborah Strebel
Une critique du spectacle :
Requiem de Salon / mise en scène Andrea Novicov / Théâtre Arc-en-scènes à la Chaux-de-fonds / du 1 au 4 avril / plus d’infos
Dynamique huis clos familial, Requiem de Salon est une foisonnante création cumulant les références et mélangeant les registres. Au sein d’un espace restreint, une fratrie entière s’agite autour de la figure centrale de la mère fantasque. Abordant avec légèreté des thématiques universelles telles que le mensonge, l’absence ou les rapports familiaux en général, le spectacle offre un charmant divertissement.
Tel un îlot isolé au milieu d’un vaste océan noir, un salon bourgeois écarlate s’illumine au centre de la scène. Au sol, plusieurs tapis disposés les uns sur les autres dessinent un grand carré rouge. Par dessus, sont disposés une table, un canapé et un piano. Chaque meuble est rectangulaire. Le mur, lui aussi de forme carrée, est recouvert de photographies, d’esquisses et d’autres souvenirs. Chaque élément est encadré, précisément comme l’est un portrait de famille – celui auquel nous assisterons.
Réunis à l’appel de leur mère mourante, les quatre enfants se rendent à son chevet. L’attachante matriarche exhibant à son cou un étincelant collier-spirale doré digne de ceux portés par les « femmes-girafes » padaungs, semble vivre ses derniers instants. Elle est d’ailleurs vêtue d’un manteau vert, ce qui selon l’ancienne superstition issue du milieu théâtral n’est pas bon signe : Molière portait cette couleur juste avant de mourir, lors de son ultime interprétation du Malade imaginaire en 1673. Suffocante par moments mais aussi visitée par de grands élans lyriques, la veuve se souvient de son mari artiste et héros révolutionnaire. Elle continue à entretenir son mythe en relatant ses nombreux exploits devant ses enfants. Ces derniers, blasés par ces récits et surtout lassés d’être à nouveau convoqués afin d’assister pour la énième fois à la mort « surjouée » de leur mère, tentent de trouver tous les stratagèmes possibles pour mettre rapidement fin au supplice et vaquer à nouveau à leurs occupations du weekend. Mais c’est sans compter l’esprit vif de la vieille dame, qui parvient à les garder auprès d’elle. De l’aînée, forte de caractère, au fils intellectuel, en passant par la fille musicienne et confuse sans oublier la cadette rêveuse, tous les membres de la fratrie finissent par demeurer ensemble, une fois encore.
A l’origine, Andrea Novicov, l’ancien directeur du théâtre Arc-en-scènes, avait prévu de travailler sur une autre pièce. Malheureusement, au dernier moment, alors que la distribution était achevée et que plus d’une dizaine de théâtres étaient convaincus, il n’a pas obtenu les droits pour la représenter. C’est alors qu’il a commandé in extremis un texte inédit aux deux auteurs Marie Fourquet et Camille Rebetez. Les seules consignes de départ étaient de concevoir un projet facile à jouer dans différents endroits. De plus, l’histoire devait être simple, le but étant de permettre au spectateur de s’identifier facilement aux personnages. C’est la raison pour laquelle surgissent ici des thèmes universels comme celui de la famille, la dialectique entre l’absence et la présence, le mensonge. S’en est suivi un véritable travail collectif. Les auteurs ont imaginé une trame sommaire ; les comédiens s’en sont emparés et ont improvisé. Leurs diverses trouvailles lors des répétitions ont permis de réécrire les dialogues.
Le résultat de cette bouillonnante collaboration est dense. Le spectacle varie les formes théâtrales. Il a par exemple recours à un procédé de théâtre dans le théâtre mais pratique également le théâtre chanté, genre un peu boudé ces dernières années. Il évoque aussi les codes du classicisme en réinterprétant, à sa manière, la règle des trois unités. Enfin texte et musique mélangent les registres. Lors de son monologue, une jeune auxiliaire de vie chantonne un titre de Joe Dassin et récite une chanson de Léo Ferré comme s’il s’agissait d’un poème tandis que Grace, la seule fille à vivre encore auprès de sa mère, joue inlassablement un requiem classique. Cette confrontation entre la « high culture » et la « low culture » est également présente au sein même des répliques. La mère impatiente de recevoir ses enfants peut ainsi dire à son aide soignante russe : « Envoyez Hermès et qu’il me ramène un sac », réunissant non sans humour mythologie grecque et société de consommation.
Spectacle riche en allusions et en personnages typés, Requiem de Salon parvient à faire passer les spectateurs du rire aux larmes. Étonnant et abondant projet transfrontalier, la pièce, conçue l’été dernier et jouée pour la première fois au Théâtre de l’Orangerie à Genève, a tourné par la suite en France. Elle revient désormais en Suisse jusqu’au 4 avril pour le plus grand plaisir du public neuchâtelois.