Par Suzanne Balharry
Une critique du spectacle :
Le Café des voyageurs / inspiré de la nouvelle de Corinna Bille / Cie la.la.la / Petithéâtre de Sion / du 3 au 13 avril / plus d’infos
Fragile, troublante, la situation dans laquelle nous plonge cette pièce pleine de poésie est aussi pleine de douceur et de compassion. Il s’agit d’un jeu auquel chaque personnage accepte de jouer pour aider les autres à porter le poids d’un souvenir. Une fiction qui les délivre de la réalité, comme s’ils jouaient tous une pièce de théâtre.
Une femme, dont le fils est mort dans un accident alors qu’il rentrait auprès d’elle, a convenu de prétendre un jour par an que l’accident n’a jamais eu lieu. Elle accueille donc le temps d’un repas, dans un plan d’appartement qui représente celui qu’elle habitait, un inconnu. Pour marquer la distance entre la réalité et le jeu auquel elle se prête, elle demande que chacun parle de soi-même à la troisième personne.
La douce folie de cette femme jouée par Anne-Frédérique Rochat impose un décor, un langage et une histoire aux autres personnages, qui se prêtent finalement tous au jeu. Ils sont tout comme elle parfois à deux doigts de s’y perdre, avec tant de douceur qu’il est tentant de les y suivre. Les scènes entre Margot (Marika Dreistadt) et Germain (Jean-Baptiste Roybon) nous plongent notamment dans cette tendresse. Ces trois personnages sont encadrés par le domestique de Madame, véritable metteur en scène du jeu et qui en tire un grand plaisir. L’acteur qui incarne ce personnage est René-Claude Emery, dont les mimiques rappellent parfois Jack Nicholson et dont le jeu empli de contrastes est un plaisir à regarder.
La scénographie, signée Adrien Moretti, présente au centre de la scène un simple plan de l’appartement dessiné à la craie et qui rappelle les films de Lars von Trier. L’aspect éphémère du dessin permet un jeu constant sur les proportions et l’existence même du décor. Il rappelle aussi au public que se laisser enchanter par la magie du théâtre est un choix conscient où l’incrédulité est jetée aux oubliettes. La scène est un plateau de jeu, sur lequel chaque personnage accepte de venir tenir un rôle, endosser un costume, un maquillage, et aider les autres à porter le poids de la situation.
L’utilisation de la troisième personne du singulier au lieu de la première, permet elle aussi une conscience du jeu, autant pour les personnages qui choisissent de jouer que pour le public. Cette pièce, adaptée d’une nouvelle de l’auteure valaisanne Corinna Bille, est écrite et mise en scène par Coline Ladetto. Dans la continuité de son travail sur la frontière entre forme théâtrale et romanesque, la metteure en scène nous propose un spectacle fragile et troublant, à voir jusqu’au 13 avril au Petithéâtre de Sion.