Par Roxane Cherubini
Une critique du spectacle :
Le Petit prince écarlate / de Marcel Cremer / réalisation et mise en scène Sophie Gardaz, Hélène Cattin et Philippe Saire / Le petit théâtre de Lausanne / du 12 au 30 mars 2014 / plus d’infos
Avec Le Petit prince écarlate, le Petit Théâtre redonne vie au conte de Cendrillon en prolongeant son histoire, tout en évoquant habilement les facettes peu connues du texte de Perrault. Sophie Gardaz, directrice du Petit Théâtre, Philippe Saire, chorégraphe de Neons, Black Out ou encore des projets Cartographies vus entre autres à Sévelin 36, et Hélène Cattin, reconnue notamment pour sa mise en scène ein Gebäude sein – être un bâtiment inspirée de Peter Zumthor, se sont réunis pour créer cette pièce haute en couleurs qui interroge avec subtilité l’héritage littéraire et l’exercice du pouvoir.
Tout commence avec un soulier. Cette fois, il n’est ni de vair, ni en verre, mais rouge vif. Objet de prédilection du prince, le fils de Cendrillon, il constitue la thématique centrale du spectacle. Les souliers inonderont même le plateau, lorsque l’héritier du trône cherchera dans les jupons de sa mère des vingtaines de pairs couleur pourpre pour les faire voltiger dans les airs, heureux de montrer au public sa collection fétiche. Cette scène caractérise la tonalité ludique de la pièce, qui amuse les jeunes spectateurs par une légèreté propre à l’enfance.
Toutefois, les chaussures rouges recèlent un message bien plus grave, qui concerne la difficile tâche d’un roi ou d’une reine et touche de près à la portée subversive des contes de Perrault. La pantoufle de vair n’a pas offert à Cendrillon une condition sociale plus plaisante que son rôle de ménagère ; elle l’a condamnée. L’immobilité de l’héroïne sur la scène, emprisonnée dans sa robe de bal ayant cessé de marcher le jour où elle est montée sur le trône, fait écho à la privation de liberté des jeunes filles de la Cour au XVIIe siècle, contraintes de se marier avec tel ou tel homme pour conserver la lignée du sang royal. Avec le conte « Cendrillon », extrait de son ouvrage Histoires ou contes du temps passé, Perrault dénonçait les stratégies de Louis XIV mises en place pour marier sa nièce Charlotte d’Orléans à son fils bâtard, afin de maintenir la dynastie de son nom.
De même, le rouge, dont le visage du prince est maculé, incarne les abus et la violence auxquels mène l’autorité absolue. Le jeune garçon, qui tente de nouer avec sa future fonction, tombe dans le piège de la dictature et de la tyrannie. Souffrant de l’absence d’un père qui a quitté le logis parce qu’il ne reconnaissait plus la femme statique qu’était devenue Cendrillon, il exprime sa colère en écrasant des visages en papier qui reflètent ses sujets. L’atmosphère obscure de la pièce, créée par un éclairage particulièrement sombre et des micro-sons comme un froissement de papier ou une goutte d’eau qui tombe, illustre le désenchantement d’une reine accablée par sa condition et abandonnée par son mari, ainsi que l’influence nocive de la souveraineté. Heureusement, du bleu, du jaune et du vert viennent agrémenter le jeu divertissant des personnages, qui recouvrent de peinture les murs et leurs propres vêtements, ce qui court-circuite la dimension tragique de l’histoire symbolisée par le rouge.
Le Petit prince écarlate marque par sa signification profonde et son traitement de la couleur. S’achevant sur un faisceau de lumière emblématique de l’apaisement du prince, la pièce ne contient aucun jugement moral. Elle montre ainsi que l’apprentissage de la vie est une quête personnelle aux expériences et chemins multiples. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette collaboration entre Hélène Cattin, Sophie Gardaz et Philippe Saire.