La Petite Fille aux allumettes
d’après Hans Christian Andersen / mise en scène Julie Annen / Petit Théâtre de Lausanne / du 29 janvier au 16 février / Critiques par Cecilia Galindo, Suzanne Balharry, Jonas Guyot.
31 janvier 2014
Par Cecilia Galindo
Et si on changeait la fin de l’histoire ?

Dans la dernière création de Julie Annen, une version lumineuse de La Petite Fille aux allumettes, quatre comédiens racontent et jouent les mirages d’une petite fille victime du froid et de l’indifférence. A la fin du conte, Hans Christian Andersen soufflait sur la vie de l’enfant comme sur une bougie à la flamme vacillante, mais qu’en pensent les enfants ?
Deux réverbères, uniques objets du décor, s’allument alors que la salle s’assombrit. « Chut, ça commence ! », les spectateurs sont tout ouïe. A travers des enregistrements sonores, on entend des enfants s’exprimer au sujet de ce conte populaire et de son dénouement tragique : certaines oreilles innocentes n’acceptent pas la mort de la fillette et se demandent si la fin ne mériterait pas quelques modifications. Mais avant de parler de la fin, revenons au début. Les comédiens apparaissent sur la scène et se placent en ligne, face au public. Une voix de petite fille raconte sa situation, devenue précaire du jour au lendemain, et fait part de la mission que son père lui a donnée : braver le froid et aller dans la petite ville trouver des allumettes. A partir de là, les quatre comédiens prennent le relai et se partagent la narration de ce conte d’une nuit d’hiver.
Du réel…
Pour sa réécriture de La Petite Fille aux allumettes, Julie Annen a mêlé à l’histoire originale des touches de réel qui appartiennent à sa propre enfance. Ainsi, la jeune fille sans nom d’entrée évoque de sa voix fluette la crise et la précarité soudaine, le camping-car comme nouvelle maison et enfin le désarroi de ses parents, qui sont représentatifs d’une situation que la metteuse en scène a bien connu durant plusieurs mois lorsqu’elle avait quatorze ans. « La précarité, l’isolement, la honte et les questions sans réponse compréhensible ont été mon quotidien pendant ces quelques mois », confie-t-elle. En partant d’événements plus ou moins récents ancrés dans la réalité, Julie Annen offre alors aux spectateurs du Petit théâtre de Lausanne une version moderne du conte – les allumettes sont d’ailleurs remplacées par un briquet – qui invite évidemment à réfléchir sur des problèmes actuels.
…à l’imaginaire
Si le réel fait partie intégrante du processus d’écriture, l’imaginaire s’engouffre dans la mise en scène pour notre plus grand plaisir. Avec trois fois rien, les comédiens donnent à voir la neige, la dinde de Noël, le poêle à bois fumant ou encore la forêt angoissante. En plus d’incarner des personnages humains, tels ceux d’une grosse femme, d’un journaliste ou du maire de la ville, ils s’investissent aussi dans des rôles plus fous pour donner vie par exemple à la dinde dorée, qui chante et danse joyeusement, ou à Monsieur le sapin de Noël. Et la petite fille ? Outre le visage formé par une constellation de points lumineux (une sorte de guirlande qui relie un réverbère à l’autre), elle n’est pas là sur scène. Cependant, on perçoit sa présence non seulement grâce à sa petite voix, mais aussi à travers le regard parfois fuyant des personnages. La metteuse en scène a également veillé à intégrer au spectacle le fruit de l’imagination et certains ressentis d’enfants belges, suisses et français, auxquels il avait été demandé d’imaginer une fin alternative. Ce seront leurs propositions qui concluront le spectacle, parmi lesquelles surgit une vérité amère : si on l’avait écoutée, cette petite fille ne serait probablement pas morte de froid.
Un spectacle qui plaît aux petits, et qui touche les plus grands. A voir jusqu’au 16 février 2014 au Petit Théâtre de Lausanne.
31 janvier 2014
Par Cecilia Galindo
31 janvier 2014
Par Suzanne Balharry
Dure actualité et narration féérique

La tristesse de La Petite Fille aux allumettes fond comme la neige sous les lumières féériques et les musiques joyeuses de cette création de Pan ! (La Compagnie). L’histoire est triste, et il ne faut pas oublier qu’elle raconte une dure réalité, mais on peut la raconter avec douceur.
Le désir de mettre en scène le conte de Hans Christian Andersen est venu à Julie Annen après la lecture de l’histoire avec son fils, avec le désir de répondre aux nombreuses questions qu’éveillait en lui la fin tragique. Sa mise en scène se passe aujourd’hui et s’inspire notamment de ses propres souvenirs d’enfance. Quand elle avait quatorze ans, sa famille a été plongée dans la précarité et s’est vue forcée d’emménager dans un camping-car. Elle souligne donc dans son adaptation du conte, avec humour et douceur, combien l’histoire de la petite fille est d’actualité et combien la situation est grave pour ceux que la pauvreté exclut, plonge dans l’isolement, et que nul ne souhaite plus voir.
La scénographie propose comme simple décor deux lampadaires, une guirlande de noël et un plateau nu qui mettent en valeur la performance des comédiens. Ceux-ci donnent vie aux différents tableaux de l’histoire par des chorégraphies imagées qui illustrent à la fois les rencontres de la petite fille avec des personnages et avec des objets animés qu’elle imagine. Ils jouent ainsi non seulement la grand-mère ou le journaliste, mais aussi le sapin de noël et l’incroyable dinde dorée qui danse le cancan sur un air de Marie-Paule Belle. Ces scènes pleines de magie sont cadrées par la narration du conte par la voix de la petite fille elle-même, qui confie ses inquiétudes au sujet du sort de ses parents et s’interroge sur la meilleure manière d’échapper au froid.
Dans les premiers instants puis à la toute fin de la pièce, des enregistrements de voix d’enfants commentent l’histoire. Rencontrés par Julie Annen en Belgique, en France et en Suisse, ces enfants expliquent avec des mots simples mais pleins de justesse ce qu’ils ressentent notamment par rapport à la fin tragique de la fillette, qui les attriste mais qu’il faut accepter puisque tout le monde meurt un jour. Ces commentaires, parfaitement clairs pour les petits, font réfléchir les plus grands sur la manière dont on explique la violence du monde aux enfants. Ils ouvrent, comme le souhaite la metteure en scène, un espace de dialogue et de questionnement autour de l’histoire.
Julie Annen a une douzaine de pièces à son actif, dont La Sorcière du Placard aux Balais (2005), La Tempête (2007), Messieurs les enfants (2008) et Ceux qui courent (2009). Son adaptation chaleureuse et réaliste de La Petite Fille aux allumettes est à voir au Petit Théâtre de Lausanne jusqu’au 16 février.
31 janvier 2014
Par Suzanne Balharry
31 janvier 2014
Par Jonas Guyot
Le briquet remplace les allumettes

Dans une version très contemporaine de La Petite Fille aux allumettes, Julie Annen se penche sur une histoire qui marque les enfants depuis de nombreuses générations. Cette réécriture pleine de fantaisie et de références au monde contemporain a su préserver l’esprit du texte original. Si la question de la misère matérielle reste la préoccupation majeure de l’histoire, Julie Annen n’aborde pas cette thématique comme une fatalité.
Deux lampadaires diffusent une pâle lumière sur la scène. Sous ces deux faisceaux lumineux apparaissent quatre personnages. De leurs poches, ils sortent des flocons de neige. Une fine pellicule blanche recouvre peu à peu le sol. La lumière et la neige sont là, il ne manque plus que la petite fille et ses allumettes.
La petite fille, nous ne la verrons pas, seule sa voix marquera sa présence. L’absence physique du personnage renforce efficacement le sentiment d’indifférence des habitants du village à son égard. Tout le monde ignore cette enfant ; la grosse dame est bien trop occupée à cuisiner une appétissante dinde derrière sa fenêtre, le maire – pourtant un ami de ses parents – ne fait rien pour l’aider à trouver les fameuses allumettes qui permettraient de réchauffer sa mère. Le seul qui lui apporte un peu de réconfort, c’est Diego, une « racaille » qui se cache dans les bois avec sa bande de brigands. Avec ce voleur au cœur tendre, Julie Annen insuffle un peu de solidarité dans l’histoire.
A défaut d’allumettes, Diego offre un briquet à la petite fille. Cette réécriture veut signifier que, aujourd’hui, la misère n’a pas encore disparu : elle a seulement changé de forme. Julie Annen, en s’inspirant notamment d’un épisode de sa propre vie, adapte l’histoire à notre époque. Elle transforme ainsi le miteux appartement sous les toits du récit d’Andersen en une vieille caravane pleine de trous. La petite fille n’est pas née pauvre, elle l’est devenue à la suite de la faillite de son père. Ce conte trouve donc un écho dans une période d’incertitude financière où la crise et la hausse du chômage peuvent briser des familles.
La pièce que propose Julie Annen présente des personnages hauts en couleur et des chansons amusantes formant une ambiance légère et lumineuse. La fin tragique du conte ne diffère pourtant pas de celle d’Andersen. Cependant, si cette fin demeure dramatique, elle n’a pas pour but d’accabler et de culpabiliser le public. A la fin du spectacle, à travers quelques extraits sonores, Julie Annen donne la parole aux enfants afin qu’ils proposent des solutions pour transformer le funeste destin de la petite fille en une fin heureuse. Le public ressortira de ce spectacle en étant conscient que la misère frappe encore des familles, tout en restant confiant en l’avenir.
31 janvier 2014
Par Jonas Guyot
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